Le 29 octobre 1959, le tout premier Astérix faisait son apparition sur les tablettes des librairies, et pour célébrer son soixantième anniversaire, la série s’offre un tout nouvel album aux relents de crise d’adolescence, avec La Fille de Vercingétorix.
Juste avant de se rendre à César lors de la cuisante défaite d’Alésia, Vercingétorix remit son torque à sa fille Adrénaline, l’enjoignant de toujours rester libre et de résister en son nom. Redoutant que le collier du plus célèbre des combattants gaulois ne serve d’emblème à de nouvelles révoltes, les Romains pourchassent la jeune femme sans relâche depuis ce temps. Chargés de sa protection, les chefs arvernes Ipocalorix et Monolitix décident qu’elle sera davantage en sécurité en Bretagne, mais avant de partir à la recherche d’un navire pouvant traverser la Manche, ils confient Adrénaline aux bons soins d’un village en Armorique résistant toujours à l’envahisseur.
Si Astérix et Obélix ont vécu d’innombrables aventures et affronté de terribles dangers par le passé, rien ne les a préparés à assumer la garde d’une adolescente rebelle qui a la fâcheuse manie de fuguer.
Ayant repris le flambeau de la série Astérix depuis maintenant quatre albums, le scénariste Jean-Yves Ferri et le dessinateur Didier Conrad en savent probablement long sur le poids que peut revêtir un héritage. C’est peut-être ce qui explique qu’ils aient choisi ce thème pour La Fille de Vercingétorix, qui s’incarne tout d’abord par Adrénaline, une adolescente peu intéressée à suivre les traces de son illustre père et devenir un point de ralliement dans la rébellion contre les Romains, mais également à travers une toute nouvelle génération d’irréductibles Gaulois dont Selfix, le fils du forgeron et Blinix, celui du poissonnier, qui n’hésitent pas à dénoncer haut et fort le vieux système « sanglier-menhir-potion » et savent apprécier à leur juste valeur les « chansons qui dérangent » d’Assurancetourix, un angle qui permet de jeter un regard inédit sur ce village que l’on fréquente pourtant depuis soixante ans.
On retrouve tous les ingrédients caractéristiques d’un Astérix dans La Fille de Vercingétorix, soit un humour léger comportant plusieurs niveaux de lecture et pouvant convenir aux jeunes comme aux adultes, des noms de personnages rigolos qu’il faut souvent prononcer à voix haute pour saisir le gag (Ocunexcus le Romain, ou le capitaine Letitbix), et des tonnes de clins d’œil à l’actualité ou la culture populaire. Les FARC deviennent ici le « Front Arverne de Résistance Checrète », et complètement ivre, l’équipage d’un bateau détournera Cabrel en chantant : « Et ça continue, amphore et amphore ». On apprécie d’ailleurs que, pour une fois, les pirates jouent un plus grand rôle que les trois ou quatre cases habituelles se terminant par la destruction de leur navire.
Il est évidemment impossible de modifier la facture graphique d’Astérix d’un iota sans risquer un tollé et des dizaines de pétitions. C’est pourquoi le dessinateur Didier Conrad moule son coup de crayon à celui d’Uderzo, reproduisant le style original avec une fidélité digne d’un faussaire, des personnages arrondis dotés de gros nez jusqu’au lettrage des bulles. Respectant à la lettre les conventions de la série, l’album s’ouvre sur la carte de la Gaule en 50 avant Jésus-Christ et se termine sur la traditionnelle scène de banquet, mais Conrad prend tout de même quelques libertés, intégrant Charles Aznavour parmi l’équipage du bateau pirate par exemple. Puisque personne n’ose le prononcer à voix haute depuis sa défaite, le nom de Vercingétorix est écrit dans un lettrage beaucoup plus petit que le reste dans tous les phylactères de l’album, un gag visuel récurrent et plutôt réussi.
Bien que personne ne puisse remplacer des maîtres de la bande dessinée tels que Goscinny et Uderzo, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad font un travail remarquable pour non seulement garder vivant leur héritage mais aussi le faire évoluer, et les amateurs d’Astérix se réjouiront de pouvoir se mettre une nouvelle aventure du Gaulois sous la dent.
Astérix, T38 : La Fille de Vercingétorix, de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad (d’après Uderzo et Goscinny). Publié aux Éditions Albert René, 48 pages.
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