En une fraction de seconde, un bloc coloré en forme de « L » tombe du haut de l’écran de l’ordinateur. En moins de temps encore, des doigts survolent une manette ou des touches de clavier, afin de faire pivoter la forme géométrique pour qu’elle tombe à l’endroit prévu, pour former une ligne, et ce de plus en plus vite. Vieux de plusieurs décennie, le jeu Tetris – et ceux qui y jouent de façon compétitive – sont devenus une zone d’expérimentation pour des chercheurs en sciences cognitives du Rensselaer Polytechnic Institute qui veulent découvrir comment les humains apprennent et gagnent en expertise.
« Il s’agit vraiment d’un talent cognitif complexe, qui nécessite beaucoup d’adaptation », affirme Wayne Gray, professeur en sciences cognitives à l’Institut. « Comprendre les différentes sections de cette expertise, et comment elles fonctionnent les unes par rapport aux autres, nous aidera à solidifier notre compréhension de l’expertise en ce qui concerne d’autres types de tâches dynamiques. »
M. Gray et son équipe se rendront bientôt à Portland, en Oregon, où Tetris est considéré comme un sport et où les meilleurs se livrent une chaude lutte dans le cadre du Classic Tetris World Championship. Les chercheurs y recueilleront une grande quantité de données, que ce soit les frappes sur les touches ou les rotations des blocs, alors que des concurrents se sont portés volontaires pour jouer sur les ordinateurs de l’équipe de recherche, avant et entre les matchs officiels.
Les chercheurs tentent d’identifier les grandes stratégies, la façon dont les joueurs pensent et prennent des décisions, et les gestes posés par les grands experts qui les différencient des novices.
« Ce n’est pas que nous étudions le jeu, mais plutôt le cerveau des joueurs et la façon dont ils apprennent », mentionne Jacquelyn Berry, récemment invitée à l’Institut.
Les travaux de recherche reçoivent l’appui du Bureau de la recherche navale des États-Unis. L’armée est intéressée, précise M. Gray, par le fait de savoir comment des individus et les équipes apprennent et perfectionnent des tâches techniques.
« Nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait beaucoup de joueurs de Tetris qui posent des gestes pouvant être imités dans la marine, mais nous espérons que les méthodes que nous voulons étudier pourront servir de modèle sur la façon de procéder en lien avec des tâches qui intéressent la marine », souligne M. Gray.
Ce dernier, accompagné de son équipe, s’intéresse à plusieurs aspects de l’expertises, y compris ce qui se passe en matière de performance lorsque l’interface à l’aide de laquelle quelqu’un s’entraîne est soumise à des changements. Par exemple, Mme Berry a récemment dirigé une étude qui s’intéressait aux résultats obtenus lorsque l’on demandait à des participants de jouer à Tetris à l’envers, mentionne l’Institut.
Les chercheurs se servent également de jeux pour étudier la façon dont les équipes travaillent de concert. Ils ont ainsi précédemment étudié des données tirées de League of Legends et mettent actuellement au point un jeu d’action coopératif pour évaluer les signaux non verbaux utilisés par les partenaires pour communiquer lorsqu’ils tentent d’atteindre un objectif.
Pour ce qui est de Tetris, il s’agira de la quatrième année où les chercheurs de l’Institut Resselaer étudient des joueurs professionnels lors du championnat mondial. Pendant cette période, soutient Mme Berry, ils ont pu observer les limites de l’expertise humaine prendre de l’expansion. Contrairement au jeu, dont le score maximal est de 999 999 points, Mme Berry et M. Gray disent voir bien du potentiel dans ce domaine de recherche.
« En étudiant Tetris, nous pensions d’abord que les meilleurs joueurs étaient simplement plus rapides que les autres. Mais en observant le tout de plus près, nous avons constaté qu’il y avait divers types de performances de la part des joueurs doués », mentionne M. Gray.
« S’ils semblent plus rapides, ce n’est pas parce qu’ils sont nés ainsi. C’est en fait parce qu’ils ont appris des trucs et des stratégies qui leur ont permis de jouer à un tout autre jeu que celui auquel nous jouons. »