Jamais, dans l’histoire des campagnes électorales canadiennes, n’a-t-il autant été question d’environnement. Sans être l’ultime priorité des principaux partis politiques, aucun parti ne peut aujourd’hui se permettre de faire l’impasse sur la question climatique. Tour d’horizon des propositions des principaux partis en la matière.
Parti libéral du Canada: combattre le feu par le feu
Le bilan écologique des libéraux ne fait peut-être pas l’unanimité, mais on ne peut pas leur reprocher d’être inconscient d’un des plus grands défis environnementaux de notre siècle, soit la lutte contre le réchauffement climatique. La ministre sortante de l’Environnement, Catherine Mckenna, a d’ailleurs proposé en avril dernier une motion aux Communes qui permettrait de déclarer que « le Canada est en situation d’urgence climatique ».
Face à cette menace qui pointe à l’horizon, les troupes du chef Justin Trudeau ont décidé de mettre sur pied un grand plan de transition énergétique. L’objectif des libéraux est d’abandonner progressivement les énergies fossiles, pour se tourner vers les énergies propres, de sorte qu’en 2030, le Canada soit en mesure de respecter l’accord de Paris sur le climat, et qu’en 2050 le pays soit entièrement carboneutre.
Pour atteindre ces cibles ambitieuses, les libéraux proposent d’abord d’augmenter progressivement la taxe carbone et d’investir les sommes payées par les pollueurs dans les énergies, les technologies et les infrastructures propres.
Le plan de transition prévoit aussi l’abandon complet des centrales au gaz et au charbon d’ici 2030, l’abandon des subventions à l’industrie fossile (d’ici 2025), la mise en œuvre d’un plafond d’émission des gaz à effet de serre (GES) pour l’Alberta, l’accélération de l’électrification des transports et du développement des transports en commun, ainsi que la plantation de deux milliards d’arbres sur le territoire canadien.
Un futur deuxième gouvernement Trudeau désire également encourager le secteur privé à aller dans le sens de cette transition énergétique, en investissant 100 millions de dollars par année dans les entreprises de technologie verte, et 200 millions dans la mise sur pied de stratégies sectorielles (dans les domaines de la foresterie, des pêches, des mines, de l’énergie et de l’agriculture) afin d’encourager les entreprises à se tourner vers des technologies et des méthodes de production plus propres. De plus, les entreprises qui développeraient des technologies carboneutres verraient leur taux d’imposition réduit de moitié.
Sur le plan citoyen, le Parti libéral veut promouvoir cette transition énergétique, en accordant notamment des prêts sans intérêts pour ceux et celles qui souhaitent rendre leur habitation plus éco-responsable, en plus d’accorder des crédits d’impôt pour les Canadien(e)s qui feront l’acquisition de voitures électriques.
Pour financer cette grande transition (qui avoisine les 70 milliards par année), les libéraux ont toutefois besoin de plus de revenus que ce que leur rapporte la taxe carbone.
L’une des solutions à court terme trouvées par le premier ministre sortant pour financer le tout est de miser sur les énergies fossiles. En effet, en 2018, les libéraux ont fait l’achat de l’oléoduc Trans Mountain pour une somme de 4,5 milliards. Une fois le projet achevé, celui-ci devrait rapporter 500 millions à l’État par année. Une somme qui, selon M. Trudeau, serait entièrement réinvestit dans ce grand plan de transition énergétique.
Le Parti conservateur et l’approche climatique globale
Bien que certains remettent en question la conviction du chef Andrew Scheer de lutter contre le réchauffement climatique, il reste que ce dernier ne nie pas la réalité du réchauffement anthropique, et qu’il a même un plan plutôt étayé pour faire face à cette menace.
D’ailleurs, le Parti conservateur entend bien lui aussi respecter l’accord de Paris, et diminuer les émissions de GES de 30% par rapport au seuil de 2005.
Afin de diminuer l’impact carbone du Canada, M. Scheer souhaite accorder des crédits d’impôt pour les habitations écoresponsables, ce qui permettrait de réduire le nombre de GES de neuf mégatonnes.
En ce qui concerne le secteur privé, le chef conservateur a également un plan d’action pour aider les entreprises à diminuer leur empreinte carbone.
Les conservateurs ont toutefois fait le choix de se détourner de la taxe carbone, et misent plutôt sur l’établissement d’une norme d’émission pour les gros émetteurs de GES. Dans l’éventualité où une entreprise ne réussirait pas à respecter celle-ci, la compagnie se verrait dès lors contrainte d’investir dans les technologies et les énergies propres.
En outre, les conservateurs tiennent à subventionner directement les entreprises privées qui feront le choix d’adopter des technologies propres. Ces investissements permettraient de développer des entreprises canadiennes fortes, et plus vertes que nulle part ailleurs, disent-ils.
Selon M. Scheer, non seulement cela serait-il bénéfique pour l’économie et l’environnement, mais cela permettrait aussi au Canada d’exporter ses succès et son « expertise verte » à l’international.
Cette exportation de l’expertise canadienne (notamment en matière de captage et de stockage de carbone), permettrait ainsi de diminuer l’empreinte carbone des pays qui en feraient l’acquisition.
Il faut donc comprendre que les conservateurs ont un plan pour réduire les émissions de GES qui ne se restreint pas au territoire canadien, mais qui s’appréhende dans un contexte global. C’est en vertu de cette vision globale des émissions de GES qu’Andrew Scheer en vient à voir d’un bon œil la production et l’exportation de GNL (soit du gaz naturel liquéfié supposément plus propre que le charbon).
Le chef du Parti conservateur estime qu’en exportant du gaz naturel, le Canada pourra aider des pays comme la Chine à délaisser le charbon. Une initiative qui permettrait de diminuer considérablement les GES à l’échelle mondiale.
Cette conception globale des émissions de GES permet entre autres au Parti conservateur de présenter son grand projet de corridor énergétique (qui traverserait le pays d’est en ouest) comme un projet bénéfique sur le plan environnemental.
Toujours selon M. Scheer, mieux vaut acheminer notre pétrole (via des oléoducs) vers les provinces de l’Est canadien, au lieu que ces mêmes provinces achètent du pétrole provenant des États-Unis et de l’Algérie.
Car en consommant local, on s’assure, selon les conservateurs, que ce pétrole est plus propre que celui produit à l’étranger (en vertu de nos normes environnementales plus sévères qu’ailleurs), et on évite du même coup les transports maritimes inutiles et risqués sur le plan environnemental.
Par ailleurs, ce corridor énergétique permettrait au Québec d’acheminer son hydroélectricité vers les autres provinces, ce qui diminuerait les émanations carbone des autres provinces.
De nombreuses études ont toutefois établi que le pétrole des sables bitumineux albertains est l’un des plus polluants et toxiques du monde; quant à l’exportation d’hydroélectricité québécoise vers l’Ontario, par exemple, cette idée a été rejetée par le précédent gouvernement libéral à Queen’s Park, et l’actuel premier ministre Doug Ford ne semble aucunement ouvert à cette idée, lui non plus.
Le Nouveau Parti démocratique à contre-courant?
Si les libéraux et les conservateurs affichent une certaine complaisance à l’égard de l’industrie fossile, c’est tout le contraire pour le Nouveau Parti démocratique (NPD).
Bien que ce parti politique n’envisage pas, à court terme, de délaisser l’exploitation des énergies fossiles, le chef du NPD, Jagmeet Singh, s’oppose vivement à toute nouvelles constructions de pipelines. Le leader néodémocrate prévoit d’ailleurs couper toutes les subventions aux industries des énergies fossiles dès qu’il sera au pouvoir.
S’il est élu, M. Singh entend plutôt investir l’argent de ces subventions directement dans les énergies renouvelables. De façon à ce qu’en 2030, toute l’électricité du pays soit produite sans aucun rejet carbone.
À l’instar des libéraux, les néodémocrates sont donc eux aussi convaincus que le Canada se doit d’entamer un grand virage énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique.
Le NPD prévoit même diminuer le taux d’émission des GES canadiens de 40% par rapport au niveau de 2005, soit 10% de plus que la cible établie par l’accord de Paris. Pour ce faire, les néodémocrates souhaitent progressivement délaisser les centrales thermiques au charbon au profit des centrales électriques carboneutres.
Le NPD veut également diminuer l’empreinte carbone du secteur des transports, responsable à lui seul de 24% des GES canadiens. Pour ce faire, M. Singh entend électrifier la totalité des transports en commun, et il fait la promesse que, d’ici 2040, seules les voitures électriques pourront être vendues sur le territoire canadien.
Pour promouvoir ce changement, le chef néodémocrate est aussi prêt à accorder des déductions qui peuvent s’élever à 15 000$ pour ceux et celles qui feront l’achat d’une voiture électrique fabriquée en sol canadien. Comme ces mesures devraient augmenter considérablement le nombre de voitures électriques au Canada, le NPD promet de mettre sur pied un réseau de bornes de chargement à travers tout le pays.
À l’image des conservateurs et des libéraux, le chef du NPD désire également encourager la construction d’habitations écoresponsables, mais contrairement à ses opposants, M. Singh croit que l’initiative ne doit pas venir des entrepreneurs ou des propriétaires, mais de l’État lui-même. En améliorant le Code national sur les bâtiments, le néo-démocrate estime que toutes les nouvelles bâtisses (y compris les parcs immobiliers et les résidences) seront, et devront être carboneutres d’ici 2030.
Au total, les néodémocrates souhaitent investir 15 milliards dans la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.
Le parti de gauche prévoit aussi la création d’une Banque canadienne pour le climat (capitalisée à hauteur de 3 milliards) qui permettra de faciliter les prêts aux entreprises qui se lancent dans des projets écoresponsables, en plus d’aider financièrement les provinces qui choisiraient d’interconnecter leurs réseaux électriques.
Tous ces milliards de dollars investis dans les technologies, les transports et les infrastructures vertes, ainsi que dans le R&D à visée écologique, permettrait, selon Sing, de stimuler l’activité économique et créer environ 300 000 emplois de qualité au Canada. Pour le chef du NPD il est donc clair qu’une économie verte n’est pas synonyme de récession, bien au contraire.
Reste toutefois que toutes ces initiatives seront excessivement coûteuses. Couper les subventions à l’industrie fossile permettra certes au gouvernement de remettre la main sur 3,3 milliards, mais ce montant reste largement insuffisant par rapport au budget prévu par le NPD pour lutter contre le réchauffement climatique.
Pour pallier à ce manque, M. Singh prévoit également augmenter le taux d’imposition des grandes entreprises, mettre fin aux paradis fiscaux et à l’évasion fiscale, et taxer les géants du web. De plus, le chef du NPD estime qu’il est possible de profiter plus efficacement de la taxe carbone que ne le fait Justin Trudeau présentement, puisqu’à l’inverse du premier ministre, M. Singh veut mettre fin aux exemptions de taxe carbone pour les grands pollueurs. Ce qui permettrait d’augmenter considérablement les revenus du gouvernement.
Le Parti vert dit stop aux énergies fossiles
Parmi tous les partis fédéraux, le Parti vert du Canada (PVC) est certainement celui qui est le plus préoccupé par l’urgence climatique. Par la même occasion, c’est aussi le parti qui a les plus grandes ambitions en termes de lutte contre le réchauffement climatique. Le taux de réduction des GES envisager par le PVC pour 2030 (soit 60% de diminution par rapport aux GES produit en 2005), est deux fois plus important que ce que prévoit l’accord de Paris, et 12% plus élevé que la recommandation du GIEC, le groupe d’experts de l’ONU sur le climat.
Pour atteindre cet objectif, le Parti vert n’entend toutefois pas faire cavalier seul. Au contraire, il souhaite créer un cabinet restreint transpartisan pour la lutte contre le réchauffement climatique. Le but étant de favoriser la collaboration, afin de trouver les meilleures solutions qui soient pour lutter contre la crise climatique.
Pour ce qui est des mesures fiscales pour faire face à cette crise, le parti dirigé par Elizabeth May entend augmenter la taxe carbone à 100$, voire 200$ la tonne (elle est aujourd’hui à 23$).
Le PVC veut aussi imposer un seuil légal d’émission de GES pour les industries. Et, bien entendu, les verts considèrent que le Canada doit à tout prix mettre une croix sur ses énergies fossiles. Pour Mme May, il n’est donc pas question d’approuver aucun nouveau projet lié à l’extraction ou la production de combustibles fossiles. Et aucun projet de pipeline ou de forage en haute mer ne sera autorisé par le PVC, si jamais il est élu.
À partir de 2035, les activités liées aux combustibles fossiles qui seront acceptées par le Parti vert seront exclusivement celles destinées à des fins non énergétiques (pétrochimie, asphalte, etc). Par conséquent, le PVC prévoit couper toutes subventions aux industries fossiles, et entend bien annuler le projet Trans Mountain, quitte à perdre les 4,5 milliards déjà investis.
Tout cela montre bien la volonté du Parti vert d’entamer lui aussi une grande transition énergétique. Une transition qui passera par l’abandon des énergies sales pour les énergies vertes, et par le développement de technologies et de méthodes de production plus propres. Pour ce faire, Mme May compte bien financer et subventionner les entreprises qui oeuvrent en ce sens, et qui travaillent à réduire leur impact carbone. Sinon à bien des égards, la transition énergétique des verts ressemble beaucoup à celle du NPD. On parle ici d’électrifier l’ensemble du pays avec des centrales zéro émission, établir une stratégie interprovinciale pour distribuer cette électricité propre, électrifier l’ensemble des transports en commun, et promouvoir la voiture électrique.
Pour encourager la vente de véhicules électriques (neufs ou usagés) Mme May entend exempter leurs achats de la taxe de vente fédérale. La chef du PVC désire aussi augmenter massivement le nombre de bornes de chargement. Une mesure qui sera des plus essentielles, puisque le Parti vert compte bien interdire la vente de voitures à essence d’ici 2030. Pour les modes de transports qui ne seront pas en mesure d’être électrifiés, le PVC mettra de la pression pour que ces derniers se détournent de l’essence et optent pour le biocarburant (qui serait produit à partir de matières recyclées).
Enfin, pour promouvoir le transport actif à zéro émission (telles la marche et le vélo), le Parti vert souhaite étendre le développement d’infrastructures cyclables et pétionnières, et financer le tout via un Fonds national prévu à cet effet. Celui-ci permettra notamment de subventionner l’achat de vélos neufs ou usagés, et de mettre en place des zones d’aménagement urbain sans voiture.
En ce qui concerne le secteur du bâtiment, le PVC, veut à l’instar du NPD, procéder à l’amélioration du Code du bâtiment afin que toutes nouvelles constructions soient carboneutres d’ici 2030.
Les verts s’engagent toutefois à financer l’amélioration écoénergétique des bâtiments existants en accordant des subventions, des prêts sans intérêt et des remboursements à ceux et celles qui entreprennent des travaux d’isolation, ou qui décident de délaisser le gaz naturel au profit d’énergies renouvelables (tels les panneaux solaires et la géothermie). Le Parti vert estime que ces initiatives visant à améliorer le secteur immobilier permettra de créer plus de quatre millions d’emplois.
Pour financer la formation de ces travailleurs, les verts souhaitent mettre sur pied un Fonds des générations durables.
Les verts souhaitent par ailleurs transférer quelque 10 milliards de la TPS aux municipalités pour que celles-ci puissent investir dans les transports en commun, ainsi que dans des infrastructures et des bâtiments plus propres, mais rien ne garantit que ces municipalités vont utiliser cet argent à cette fin.
Quant à la taxe carbone, le Parti vert affirme qu’elle ne servira pas à financer la transition énergétique, puisqu’elle sera distribuée sous forme de dividendes à tous les citoyens. De fait, le budget prévu pour lutter contre la crise climatique reste inconnu.
Les verts croient toutefois disposer des sommes nécessaires pour financer leur plan environnemental, en mettant entre autres fin à l’exonération d’impôt sur les gains en capital, en plus d’imposer les grandes fortunes. Cette série de mesures doit rapporter 56 milliards au gouvernement, avance-t-on.
Il reste toutefois qu’avec tous les programmes sociaux promis par le Parti vert (telles l’assurance-médicament, la gratuité scolaire pour les études post-secondaires et l’instauration d’un service de garderie universel), il est permis de se demander combien d’argent restera dans les coffres pour lutter contre les changements climatiques.
Bloc québécois: Ottawa doit pousser les provinces à agir
Dans sa plateforme, le Bloc dit tenir à rappeler que ce sont d’abord les provinces qui contrôlent « l’aménagement du territoire, les réseaux de transport en commun, la production d’énergie et l’exploitation des ressources naturelles ».
Ainsi, les deux seuls leviers qui restent à l’État fédéral pour agir en matière de lutte contre le réchauffement climatique sont, selon le Bloc québécois, la fiscalité et la réglementation. À ce titre, les bloquistes proposent premièrement de remodeler la taxe carbone fédérale, pour s’assurer que l’argent de cette taxe ne se redirige pas vers les provinces polluantes, mais plutôt vers les celles qui polluent le moins. Ce que le Bloc surnomme la péréquation verte permettrait donc de déclencher une course à l’innovation verte.
Dans cette perspective, il n’y aurait pas de budget à proprement parler pour lutter contre les changements climatiques. Ce serait plutôt ce système de péréquation verte qui pousserait naturellement les provinces à délaisser les subventions aux industries polluantes pour investir plutôt dans les énergies renouvelables et les technologies vertes.
En ce qui concerne la solution législative, le Bloc québécois milite pour que l’on impose une loi qui forcerait le Canada à prendre les mesures nécessaires pour respecter l’accord de Paris. En vertu de cette loi, le gouvernement serait soumis de rendre des comptes sur l’impact que ses actions entraîneront sur le réchauffement climatique.
Il devra donc, par exemple, mesurer les effets sur le climat que provoqueront les subventions fédérales à l’endroit du secteur pétrolier et gazier, et l’État devra rendre tout cela public. La loi soutenue par le Bloc prévoit aussi de réviser la cible des GES canadiens tous les quatre ans, afin que l’on se dirige progressivement vers un objectif plus près des recommandations du GIEC, soit une baisse de 48% du taux d’émission de GES par rapport au niveau de 2005.
Sans surprise, les bloquistes s’opposent fermement au projet d’oléoduc Énergie est, qu’ils jugent beaucoup trop risqué sur le plan environnemental, et le parti rejoint le NPD et le Parti vert sur la question des subventions à l’industrie fossile, en demandant que celles-ci cessent au plus vite.
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