Mettant en images le classique de la littérature de Jean de La Varende, la bande dessinée Nez-de-Cuir permettra à une nouvelle génération de découvrir le personnage du comte Roger de Tainchebraye, sorte de Don Juan normand.
À l’instar de plusieurs de ses compatriotes « croyant en la gloire et à certaines grandeurs attachées à leur pays », le comte Roger de Tainchebraye s’est enrôlé au sein du 1er régiment des gardes d’honneur de l’armée napoléonienne dans l’espoir de prouver sa valeur en se distinguant au combat, mais durant la bataille de Reims le 13 mars 1814, un cavalier cosaque détache son nez et une partie de sa joue droite d’un coup de sabre. Obligé de porter un masque pour dissimuler le haut de son visage, c’est un homme blessé dans sa chair comme dans son âme qui rentre chez lui, dans son pays natal d’Ouche. Celui que l’on surnomme maintenant Nez-de-Cuir s’abandonne dès lors dans les bras des belles et multiplie les conquêtes auprès des « dames qui oublient leur devoir », jusqu’au jour où il fait la connaissance de Judith de Rieusses, la nièce d’une de ses maîtresses dont il tombe éperdument amoureux, même si cette dernière lui rappelle sa condition de monstre.
Adapté du roman du même nom de Jean de La Varende, Nez-de-Cuir est une bande dessinée littéraire, truffée de tournures antiques et de belles phrases comme « Si tu veux crever, crève au galop de ta monture » ou « Je vous laisse avec votre vertu qui grince comme du vieux bois », mais bien qu’on apprécie la plume de l’auteur, le récit présenté ici s’avère cependant linéaire. Tout en abordant les horreurs de la guerre dans ses premières pages avec sa galerie « d’estropiés et de gueules cassées en qui rien de glorieux ne subsiste », l’album délaisse rapidement le contexte historique et social pour se concentrer sur les conquêtes du comte. Ce drame romantique trahit son âge par une conception datée des relations amoureuses (où le vrai gentilhomme ne doit pas assouvir ses bas instincts avec la même femme qu’il souhaite épouser), et ses références aux « races pures de Normandie », qui ont assez mal vieillies.
Mêlant feutres, crayons de bois et aquarelle, les illustrations de Nez-de-Cuir possèdent une facture classique, presque artisanale, se conjuguant à merveille à cette intrigue romantico-historique du 19e siècle. Le dessinateur Jacques Terpant croque avec la même élégance la souffrance sur le visage des soldats et les centaines de cavaliers s’entrechoquant sur le champ de bataille que l’exubérance des fêtards rassemblés dans des tavernes animées ou des réceptions données par la petite bourgeoisie. Les nombreuses femmes peuplant le récit sont dessinées avec grâce et sensualité, et à travers ses chevauchées nocturnes comme ses paysages champêtres automnaux, Terpant redonne toute sa splendeur à la forêt normande d’autrefois. Sa coloration, vibrante et atmosphérique, contribue également à la beauté, toute en sobriété, de l’album.
Bien que l’allégorie du masque derrière lequel on se cache pour, paradoxalement, se montrer sous son meilleur jour, soit porteuse, Nez-de-Cuir appuie davantage sur le côté romantique que le côté historique, et cette version normande de Don Juan séduira surtout les amateurs de galanteries, et d’amours impossibles.
Nez-de-Cuir, de Jean Dufaux et Jacques Terpant (d’après le roman de Jean de La Varende). Publié aux Éditions Futuropolis, 64 pages.
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