Une population blasée par l’état de la société actuelle. Des citoyens qui s’estiment déconnectés des politiciens et du processus démocratique et électoral. Non, nous ne sommes pas en pleine campagne électorale fédérale, mais plutôt sur le plateau de Contre la suite du monde, une oeuvre « participative » qui sera présentée quelques jours seulement après la fin des 43e élections générales canadiennes. Entrevue.
Dans une petite salle de répétition du Plateau–Mont-Royal, dans un sous-sol d’église ayant en partie des allures de cuisine un peu kitsch, aux électroménagers fatigués mais bien fonctionnels – ronronnement de moteur de réfrigération en prime –, Jean-François Boisvenue et Claire Renaud, de la compagnie La nuit / Le bruit, parle de déconnexion.
Déconnexion d’avec les « élites », les gouvernants, déconnexion d’avec les grands médias… bref, déconnexion d’avec le système. De ce malaise – devrait-on plutôt parler de mal-être? –, les deux créateurs ont tiré une oeuvre multimédia qui sera donnée sur les planches de La Chapelle.
« (Le titre) n’a pas nécessairement de lien avec le documentaire de Pierre Perrault (Pour la suite du monde, sorti en 1963, NDLR), mais c’est évidemment l’antithèse de la réutilisation à outrance du titre, dans les dernières années, comme une maxime de l’espoir », mentionne tout de go Mme Renaud.
« Le lien n’est pas direct, mais nous nous sommes inspirés d’un article qui portait le même titre », renchérit M. Boisvenue. « Il y a un lien avec le fait que le titre en question est devenu un peu leitmotiv de l’idéal de l’avenir. L’idée d’être contre la suite du monde, c’est de mettre fin à « ce » monde; nous nous inscrivons contre cette tradition. »
« Nous voulions nous permettre de parler des gens qui ont décroché, et pas seulement indiquer que les gens ne croient plus en la politique, mais plutôt de creuser cette question-là, de se demander pourquoi, et ce que cela implique, dans notre société, qu’autant de gens aient décroché, que ce soit les citoyens ou les élites », précise Mme Renaud.
Au coeur de ce problème, l’éternel sentiment de confiance envers les décideurs, un sentiment bafoué depuis plusieurs années, et qui frappe de plein fouet l’imaginaire alors que le Canada vit une campagne électorale où le dégagisme de 2015, face au gouvernement Harper, ou celui de 2018, contre les libéraux québécois, ne se manifeste pas avec autant de force envers le gouvernement de Justin Trudeau. Il en résulte donc une campagne peu enlevante, qui pourrait à son tour alimenter le tristement célèbre cynisme électoral.
Jean-François Boisvenue et Claire Renaud se défendent bien d’avoir coordonné la présentation de leur oeuvre pour que celle-ci soit jouée quelques jours seulement après le scrutin – il est déjà assez complexe d’organiser les présentations, entre la technique, l’installation, les ententes avec les diffuseurs, etc., se défendent-ils en riant –, mais il est clair que le timing est intéressant, histoire de forcer une réflexion plus profonde de la part du public.
Si Contre la suite du monde avait au départ des visées documentaires, l’ensemble s’est rapidement transformé en un exercice scénique mettant donc en scène trois personnages, tous « décrocheurs », qui entraînent le public avec eux dans une spirale politico-socio-philosophique.
« C’est un peu comme un théâtre-réalité », avance M. Boisvenue, tandis que sa collègue évoque une « expérience de réadaptation sociale… devant public ».
Dans le contexte de cette « expérience », les créateurs ont décidé d’intégrer tout un aspect multimédia pour ajouter à l’impact des mouvements et déclarations sur scène. Des capteurs sont ainsi installés sur scène, mais aussi sur les comédiens, avec effets à l’appui, par exemple, lorsque ceux-ci effectuent certains mouvements.
« Tout cela vient appuyer le texte… ce ne sont pas des gadgets », souligne M. Boisvenue, avant d’indiquer que de précédents essais avaient donné lieu à des « décrochages du texte ». Il est donc ici question d’accompagner, et non pas de voler la vedette, en quelque sorte.
« Les capteurs viennent soutenir la dramaturgie, mais ont aussi une symbolique qui s’inscrit dans cette même dramaturgie », précise-t-il.
Inspiration en partie personnelle
Il ne fait aucun doute, à écouter les deux créateurs de Contre la suite du monde, qu’ils s’inscrivent en faux contre la structure sociopolitique consistant à aller voter une fois aux quatre ans, avant de reprendre le train-train de la vie quotidienne. Il y a toutefois une marge entre cette prise de position, disent-ils, et le comportement de leurs trois personnages, sur scène.
« Il y a un baby-boomer, un professeur d’université sur le bord de prendre sa retraite; il y a un self-made man, qui a un peu exploité les autres, et il y a une personne obsessive compulsive par rapport aux médias sociaux, et qui se fait du mal avec ça », indique M. Boisvenue, en parlant « d’archétypes de personnes qui ne font pas nécessairement la bonne chose, non plus. Pour nous, ils ne sont pas vertueux, du moins pas au début du spectacle ».
Y a-t-il de l’espoir, malgré tout? À voir le sourire de Jean-François Boisvenue et Claire Renaud, on se doute bien que les deux artistes ne semblent pas encore prêts à tout abandonner. Quant à savoir si leurs personnages auront droit à une rédemption… il faudra voir la pièce pour le savoir!
Contre la suite du monde, texte et mise en scène de Claire Renaud et Jean-François Boisvenue, présenté à La Chapelle jusqu’au 2 novembre.
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