Au lieu de présenter un artiste, un courant ou une chronologie, les expositions Silences au Musée Rath de Genève et Ombres, de la renaissance à nos jours à la Fondation de l’Hermitage de Lausanne revisitent l’histoire de l’art à partir d’un thème. Alors que le Musée Alpin Suisse de Berne aborde de son côté un trait culturel singulier avec l’exposition Écho, la montagne répond.
Sans dimension sonore réelle, comment peut-on représenter le silence par l’art visuel? Avec l’exposition Silences, le Musée Rath a ouvert la cloison de l’évocation du silence par la vision. D’emblée, l’avènement du cinéma au tournant du 20e siècle est présenté comme un repère. Avant, les artistes transcendent leurs limitations en évoquant les bruits et la fureur du monde par la couleur, le rythme et la composition. Après, les artistes prennent la peinture pour son propre objet réduisant l’importance du sujet du tableau afin que s’y déploie une dimension plus introspective. Proposition muséale intrigante, pour le moins interactive pour l’oeil.
Invité à déambuler à travers dix déclinaisons du thème, le visiteur en quête d’une évolution linéaire risque de trébucher à plusieurs reprises. De l’émergence au 16e siècle des natures mortes aux Pays-Bas au travail de matérialisation du son par La Barque (2009) d’Alexandre Joly, le rapprochement des formes de cette organisation des images suscite l’analyse graphique. Le va-et-vient entre les parties «Non-dit», «Silence sacré» et «Vanité» met en place une métamorphose captivante du créateur qui se retranche de son œuvre à une réflexion sur notre destin de mortel, en passant par la méditation sous lumière divine.
Des curiosités qui se passent d’explications se glissent parmi la variété de représentations. Les Intimités (1897-1898) de Félix Valloton illustrent dix scènes de la vie conjugale par le procédé de la xylographie, comme s’il y avait des postures types des moments marquants en couple. L’Armure de cristal (1963) de Patrick Neu étendue au sol combine une forme et une matière incompatibles. Le vidéo muet Voir ce qui est dit (1982) de Camille Llobet compare la direction d’un chef d’orchestre et la langue des signes d’une performeuse sourde.
Ombre
Au 1er siècle de notre ère, l’écrivain romain Pline l’Ancien raconte que la peinture et le dessin auraient été inventés par une jeune femme amoureuse d’un jeune homme. Partant pour l’étranger, elle entoura d’une ligne l’ombre de son visage projetée sur le mur par la lumière d’une lanterne. Au fil de l’exposition Ombres, de la renaissance à nos jours, trois œuvres se réfèrent à ce mythe. L’ombre fusionne les amants en ectoplasme bicéphale dans L’origine du dessin (1776-1791) de Joseph-Benoît Suvée, accentue leurs jeux de regards et de mains dans Ombres portées (1891) d’Émile Friant et échappe du cadre du tableau pour basculer dans l’art optique dans l’ombromanie Jeune homme (2012) du couple d’artistes Tim Noble et Sue Webster.
Située sur une colline surplombant Lausanne, la Fondation de l’Hermitage prend place dans une maison de maître construite entre 1851 et 1853. Chaque pièce de cette architecture ancienne met en valeur le contenu qu’elle abrite. Une section est réservée aux peintres originaires de Lausanne, Félix Valloton, et de Lucerne, Hans Emmenegger, qui ont réduit à l’essentiel les composantes du tableau rendant des forêts obscures traversées par de puissants rayons de soleil. Îlot turquoise, la pièce dédiée aux ombres qui semblent acquérir une existence autonome du début du 20e siècle met en suspens celles d’Edvard Munch, de Salvador Dali et de René Magritte. La gravitation universelle (1943) du surréaliste belge montre un soldat avalé par son ombre projetée sur un mur de brique.
Se déplacer entre les époques et les médiums confronte les visions artistiques. William Henry Fox Talbot décrit sa découverte du dessin photographique comme étant «l’art de fixer une ombre», alors que les peintres impressionnistes cessent de représenter les ombres avec des tons sombres en utilisant des couleurs franches et éclatantes.
Écho
À l’intérieur de la petite salle «Biwak» du Musée Alpin Suisse, l’exposition Echo, la montagne répond est née d’une collaboration avec le musicien, artiste vocal et directeur artistique de «Klangwelt Toggenburg», Christian Zehnder. Adaptée pour les personnes aveugles et malvoyantes, cette exposition acoustique propose d’écouter des enregistrements, relate l’histoire de cette pratique culturelle et la compare à des phénomènes similaires du règne animal et des applications techniques.
L’image du Suisse qui crie le nom des pastilles au cœur des sommets enneigés ou qui pratique les chants tyroliens aux sonorités loufoques demeure un cliché. Cependant, l’appel aux montagnes et l’utilisation des parois rocheuses comme caisse de résonance sont une pratique fascinante qui a influencé les compositeurs de musique classique et a été endisquée dès les années 1950, contribuant au développement de la musique pop.
Chaque enregistrement est identifié par le lieu, la latitude, la longitude, l’altitude et le nombre d’obstacles qui répercutent le son de la réflexion de la voix, du jappement d’un chien, d’un coup de fusil ou d’instruments de percussion. L’un d’entre eux a été enregistré au Lorrainebrücke, pont typique de la ville de Berne, comme quoi l’ingénierie alémanique s’inspire du volume alpin.
Les expositions Silences à Genève, Ombres, de la renaissance à nos jours à Lausanne et Écho, la montagne répond à Berne se terminent le 27 octobre.