En cas de doutes ou de panne d’inspiration, autant se tourner vers le passé, son propre passé, si possible. Toujours désireux de renouer avec le succès, le cinéaste Louis Bélanger veut s’assurer une appréciation facile au détriment de sa qualité artistique, grandement en péril depuis un bon moment, dans ce boiteux Vivre à 100 milles à l’heure.
Perversion de la jeunesse, renversement des mœurs, mafiosos à gogo, ce sont des thématiques qui font leur bout de chemin et finissent toujours par revenir, comme en fait foi la filmographie de cette année alors que le nouveau film de Louis Bélanger pourrait aussi bien évoquer les succès surprises de Good Boys ou de Hustlers. Néanmoins, c’est bien la nostalgie et la mélancolie qui continuent de nourrir le cinéaste tout comme cet humour potache qui survient toujours quand on s’y attend le moins.
Bélanger a toujours aimé côtoyer la vie et la mort, comme c’est le cas avec son histoire d’amour sur fond de Post Mortem, et il a encore envie de transformer son plus récent long-métrage en hymne. Dommage, alors, que ses ambitions ne prennent jamais forme et que cette épopée qui s’étire sur plusieurs époques n’apparaît que comme un enchaînement cheap de segments, au lieu de prendre l’allure d’une saga sur l’amitié à la hauteur de son audace.
On le sait, Bélanger a son petit côté cinéphile comme tout le monde; l’ouverture de Les mauvaises herbes était un pastiche direct de Birdman or (the Unexpected Virtue of Ignorance), alors qu’ici on peut autant penser à Mystic River (il y a même un drame et une déformation qui arrive lorsqu’ils sont jeunes) qu’à une vignette, gracieuseté de Scorsese. Sauf que les comparaisons peuvent bien s’arrêter là, puisqu’il n’y a pas beaucoup de cinéma dans le film qui nous intéresse et pas vraiment plus de photographie (ce qui devrait logiquement servir de leitmotiv).
On raconte platement et chronologiquement les montées, les dérapes et les déboires d’un trio d’amis qu’on dit inséparables autant dans les bons que les mauvais coups. Des petites magouilles aux plus grandes, entre leur propre pauvreté et leurs désirs brûlants souvent discordants, ils tomberont dans les pattes de la revente de drogue(s), qui leur offrira un empire à la hauteur de leur talent et de leur sens des affaires.
Dommage, alors, qu’un des éléments les plus importants crée déjà un problème dans l’engrenage: la distribution. Bien sûr, on salue le désir de l’équipe d’avoir voulu prioriser des nouveaux visages et de ne laisser que quelques rares rôles de soutien pour les têtes plus connues. On aurait aimé plus de prestige pour Marie-Hélène Thibault et quelque chose d’autre pour ce Benoit McGinnis méconnaissable, mais apparemment, la perfection n’existe pas.
De fait, Bélanger n’a jamais eu peur de laisser des nouveaux venus tenir tête à des noms plus prestigieux comme il nous a fait découvrir au grand écran la lumineuse Emmanuelle Lussier Martinez, en plus de donner tout un tremplin à la carrière de Maxime Dumontier. Il offre d’ailleurs finalement un petit rôle à ce dernier, près de deux décennies après son magnifique et inégalé Gaz Bar Blues, comme en guise d’excuse face à sa carrière qui n’a jamais su répondre à tous les espoirs qu’on avait cru voir en lui.
Il y a bien Rémi Goulet et Antoine L’écuyer (loin d’être à leur plus à l’aise), mais ceux-ci doivent succéder à des jeunes acteurs qui sont loin d’être les plus prometteurs. Déjà, l’idée de multiplier les interprètes pour les rôles principaux s’avale difficilement, comme les sauts dans le temps sont particulièrement anodins et courts, mais, aussi, parce que ces derniers sont faits avec une maladresse qui a de quoi s’esclaffer involontairement.
De plus, si la majorité joue leurs notes, sans plus, tout en se démenant de façon inconfortable dans du linge d’époque qui leurs donnent l’impression de se déguiser plutôt que de jouer, sans nécessairement faire montre d’une si grande complicité que cela en plus, on avoue qu’on ne pensait pas que les jeunes de Les rois mongols paraîtraient comme un coup de maître en termes de naturel face à ce qu’on nous sert ici.
Il faut avouer que le côté risible des répliques qu’on leur enfonce en bouche n’aide pas, tout comme l’aspect plaqué des confrontations, qui hésitent entre le théâtre d’été et la sitcom québécoise des années 90. Il y a aussi ce coup de grâce porté par la monotonie indescriptible d’Elijah Patrice-Baudelot (présentement le jeune autiste Éliot dans la télésérie Alerte Amber), très loin de représenter une grande palette de jeu comme l’avait fait Sébastien René avec son paraplégique dans Starbuck, puis son inoubliable Maître Marlin dans Série noire.
Ensuite, malgré la lourdeur des drames (la dépendance, la mort, la solitude, etc.) le film demeure néanmoins léger dans le ton et s’écoute à l’image de cette boîte remplie de souvenirs qu’on redécouvre, ce qui est loin d’être négligeable et rend l’écoute tout de même agréable. Le réalisateur aime après tout dire qu’une bonne part des situations sont directement tirée de sa propre existence, sans pour autant vouloir dire lesquelles.
Ce qui nous mène malheureusement à l’autre point majeur qui fait indubitablement décrocher: les anachronismes. Pour œuvre si concentrée à multiplier les références et les points de repères historiques tout en prenant un soin fou pour recréer les époques avec le linge, les voitures et on en passe, il est rapidement inacceptable de se laisser déconcentrer par des détails comme des pancartes de rue de notre époque, des parcomètres modernes noirs et bleus dans les rues de Montréal et, surtout, des lumières LED qui changent de couleur avec une télécommande dans une cuisine. On comprend que le but est d’illustrer la richesse et l’opulence, mais il y avait tant d’autres façons crédibles et réalistes de le faire pour un jeune homme habitant Québec dans les années 80 (!).
À l’image de ces jeunes qui ne semblent pas nécessairement s’exprimer comme on le faisait jadis, Vivre à 100 milles à l’heure devient rapidement quétaine et à court de moyens, mélangeant bêtement les souvenirs et les années. Le film s’offre un terrain de jeu toujours grandissant, mais ne sait jamais comment s’approprier quoique ce soit (l’amour de la musique et du blues inclus). Les problèmes sont vite réglés, on garde constamment nos protagoniste au centre de l’action, mais cela s’effectue au détriment du reste, ce qui cause des problèmes de logique interne (la famille et les parents des autres personnages que Louis?). On finit vite par se perdre dans tous ces dédales d’un intérêt ultimement assez quelconque.
Fort en métaphores simplistes et en comparaisons qui font grincer des dents (celle de la prison et l’école laisse un mauvais arrière-goût de La chute de Sparte), voilà un film qui a voulu plaire tout en essayant encore d’être une histoire de famille – Bélanger refait travailler ses collaborateurs habituels, son frère à la musique, bien évidemment –, au point d’avoir oublié de satisfaire.
Et face à de nombreux faux pas qui ne sont jamais venus à offrir une rédemption à un cinéaste qu’on s’était pourtant juré à l’époque de bien aimer – on essaie encore d’oublier The Timekeeper, bien que Bélanger était plus ou moins en avance sur ses confrères à s’essayer dans la langue de Shakespeare –, disons qu’une nouvelle oeuvre insuffisante comme celle qui nous est offerte ici ne se fait pas pardonner facilement.
5/10
Vivre à 100 milles à l’heure prend l’affiche en salles ce vendredi 27 septembre.
Un commentaire
Pfff il dit vraiment n’importe quoi! Superbe distribution!