Dès ses débuts, la série Grass Kings de Matt Kindt et Tyler Jenkins s’annonçait prometteuse, mais avec la conclusion coup-de-poing apportée par le troisième et dernier tome, on peut maintenant affirmer sans se tromper qu’il s’agit du meilleur (et du plus beau) polar graphique de 2019.
Il y a déjà plusieurs années que les relations sont tendues entre le Grass Kingdom, un territoire occupé par un groupe de marginaux vivant à l’écart de la société, et la ville voisine de Cargill. En plus de les considérer comme des squatteurs illégaux, on soupçonne également les habitants du Royaume d’abriter parmi eux un tueur en série surnommé « l’assassin courant d’air », et lorsque Maria, l’épouse du shérif de Cargill, se réfugie au sein de cette communauté pour fuir la violence de son mari, il n’en faut pas plus pour que le conflit, qui couve depuis tout ce temps, éclate au grand jour. Bruce, un ancien policier faisant régner l’ordre dans le Royaume, mène sa propre enquête afin de découvrir l’identité du meurtrier et savoir s’il se cache effectivement dans leurs rangs, mais le temps presse, alors que les agents du FBI venus en renfort s’apprêtent à rayer l’endroit de la carte une fois pour toutes.
Comme toutes les bonnes histoires policières, sous prétexte d’élucider un crime, Grass Kings aborde surtout la nature humaine, et les travers de notre société. Foncièrement américain avec ses relents de Faulkner, Thoreau ou McCarthy, ce polar rural s’articule autour de deux principes fondamentaux pour nos voisins du Sud, soit le respect de la propriété privée, et le droit de posséder des armes pour défendre son territoire. Après un second volume beaucoup plus introspectif (lire notre critique ici), ce troisième et dernier tome plonge sans détour dans le feu de l’action, et dépeint un siège digne de Waco pour les habitants du Royaume. Ayant semé plusieurs fausses pistes tout au long de la série, Matt Kindt ne crée pas seulement la surprise en dévoilant finalement l’identité du tueur, il jette aussi un éclairage inattendu sur l’ensemble du récit en exposant les cyniques motivations de l’assassin.
Grass Kings n’aurait certainement pas été une œuvre aussi puissante sans les magnifiques illustrations de Tyler Jenkins, plus proches des Beaux-Arts que de la bande dessinée. En effectuant ses dessins nerveux et touffus sur des planches où l’on sent les coulisses de l’aquarelle et les cernes du pigment sur le papier, il donne à ses images, mêmes les plus violentes, un côté éthéré, presque poétique, et ses paysages typiquement américains affichent une qualité intemporelle servant à merveille ce récit qui, sans ses références au Dark Web, pourrait aussi bien se passer en 1950 qu’aujourd’hui. En plus du scénario, Matt Kindt signe aussi les couvertures de chaque numéro dans un style qui rappelle les vieux romans pulp. Ce troisième tome contient les numéros 12 à 15, et se conclut par une galerie de couvertures alternatives et de croquis.
Au-delà d’une intrigue policière qui sort des sentiers battus en se déroulant dans un milieu rural, Matt Kindt et Tyler Jenkins parviennent à capturer l’âme même des États-Unis dans Grass Kings, et ce roman graphique en trois tomes risque de rapidement devenir un incontournable auprès des amateurs de polars.
Grass Kings, Tome 3, de Matt Kindt, Tyler Jenkins et Hilary Jenkins. Publié aux Éditions Futuropolis, 128 pages.
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