Wonho était un journaliste bien en vue à Pyongyang, la capitale du régime nord-coréen. Voilà pourtant qu’un jour il est embarqué, en compagnie de sa femme et de sa mère, vers un camp de travail de la campagne. Sans jamais recevoir d’explication pour son emprisonnement, il sera soumis à l’enfer du Camp de l’humiliation, titre du plus récent roman de Kim Yu-kyeong, paru aux Éditions Picquier.
Cet enfer commence par des conditions de détention ignobles. Cabanes peu ou pas chauffées qui tombent en ruines, nourriture à peine mangeable – quand il y en a –, travaux forcés capables de tuer un homme en peu de temps… La vie dans ce camp n’est pas conçue pour punir, mais bien pour détruire. À cela s’ajoute des gardes et des dirigeants sadiques, qui prennent un plaisir cruel à maltraiter les prisonniers, que ce soit physiquement ou mentalement.
Les lecteurs n’ont pas droit, ici, à une histoire heureuse. Le camp de l’humiliation, qui s’appuie entre autres sur les événements vécus par l’auteure et par ce dont elle a entendu parler, bien souvent à mots couverts, à propos des nombreux camps de prisonniers qui existent toujours, en 2019, n’est pas là pour nous remonter le moral. Au contraire, on plonge toujours plus avant dans un monde de cruauté gratuite et inutile, une épopée infernale dont on souhaite constamment s’extirper, histoire de se rappeler qu’il y a toujours du bon en ce monde. C’est peine perdue: le lecteur devient peu à peu tout aussi prisonnier de ce récit que les condamnés dont on raconte la misérable existence.
Roman nécessaire, roman intimiste et déchirant, roman terrifiant, Le camp de l’humiliation porte en lui les graines de la révolte d’une population qui connaît déjà l’existence de ces lieux dont, bien souvent, on ne revient jamais. Ce qu’il manque, c’est la capacité de renverser un régime qui maîtrise hélas parfaitement bien l’application de la terreur. En affamant sa population, en appliquant un conditionnement martial et total dès la plus jeune enfance, les autorités nord-coréennes s’assurent de maintenir en vie un système totalement autodestructeur pour leur peuple, mais dont la chute, si elle survient un jour, sera franchement violente et douloureuse pour toutes les parties impliquées.
Avec ce nouveau roman, donc, Kim Yu-kyeong effectue un travail extrêmement difficile, mais toujours aussi nécessaire, alors que le leader actuel, petit-fils de celui qui dirigeait la dictature au moment de l’emprisonnement de Wonho, ne montre aucun signe d’ouverture envers le monde civilisé.
Le camp de l’humiliation, de Kim Yu-kyeong, publié aux Éditions Picquier, 361 pages.