Ce n’est pas d’hier que les aléas du voyage dans le temps inspirent des histoires tordues aux auteurs, mais avec la bande dessinée Aiôn, le scénariste et illustrateur Ludovic Rio livre un récit de science-fiction original, qui évite les impressions de déjà-vu.
Nous sommes en 2312. Depuis maintenant douze ans, le capitaine Lexi Néel hiberne à bord de l’Argo, un vaisseau transportant des marchandises d’un bout à l’autre de la galaxie. Bien qu’elle n’ait parcouru que la moitié du chemin du retour et qu’elle se trouve à 4,2 années-lumière de la Terre dans le système d’Alpha du Centaure, un signal de détresse en provenance d’Aiôn déclenche sa procédure de réveil. Se rendant sur le site de l’ancienne colonie scientifique d’où émane le SOS, Lexi découvre le cadavre en décomposition du docteur Elliot Lorentz, décédé il y a plus de huit mois, ainsi que Maxine, l’androïde de la station, qui l’enferme dans une pièce et la force à devenir le cobaye involontaire d’une étrange expérimentation. Projetée seize ans dans le passé, la naufragée du temps revivra sans cesse les mêmes événements, jusqu’à ce qu’elle trouve le moyen de s’extirper de cette boucle infernale et de regagner son époque.
Aiôn se présente comme une sorte de Groundhog Day de l’espace. Le tout premier réveil du capitaine Néel s’effectuera d’ailleurs au son de la chanson « I Got You Babe », un clin d’œil manifeste au film culte d’Harold Ramis. Même s’il n’est pas le premier scénariste à emprisonner un personnage au sein d’une boucle temporelle, Ludovic Rio pousse la formule un peu plus loin, en insérant son intrigue à l’ère de l’exploration spatiale et en abordant plusieurs thèmes chers aux amateurs de science-fiction, dont l’existence de réalités alternatives, les rapports entre l’humain et l’intelligence artificielle, ou les conflits pouvant surgir lorsqu’un androïde reçoit une directive contrevenant à son programme de base, autant d’éléments contribuant à créer un récit dense qui, malgré une facture de huis clos intimiste, accroche le lecteur de la première page à son imprévisible conclusion.
D’un trait chirurgical où aucune ligne n’est superflue, Ludovic Rio signe aussi les illustrations d’Aiôn. Même si ses images semblent faites dans un logiciel de dessin, il réussit à éviter la froideur plastique parfois associée au graphisme par ordinateur, et une utilisation savante des ombres donne du relief à ses décors, somme toute épurés. L’artiste transmet à merveille l’écrasant côté majestueux de l’espace en posant son minuscule vaisseau à travers des paysages cosmiques s’étendant sur une page complète ou deux, et il exploite à bon escient le principe des itérations pour revisiter la même scène à plusieurs reprises sous des angles différents. Servant bien l’univers du récit, la coloration de Christian Lerolle s’éloigne des teintes criardes pour favoriser des tons terreux (olive, bourgogne, vert forêt, etc.), ce qui, avec l’impression mate sur le papier, donne une texture adulte à l’album.
La formule de la boucle temporelle ne semble pas sur le point de s’essouffler, et avec son périple rocambolesque au cœur de l’espace comme du temps, la bande dessinée Aiôn constitue une lecture fort divertissante pour tous les amateurs de science-fiction.
Aiôn de Ludovic Rio. Publié aux Éditions Dargaud, 132 pages.
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