Présenté cette semaine au Théâtre La Chapelle, le spectacle Nous serons éternels s’inspire des sonnets de William Shakespeare. La création est portée par quatorze acteurs sur scène, dans une ambiance charnelle et printanière. Ce nouveau spectacle de Patrick R. Lacharité se veut une rencontre à travers les siècles, d’un créateur à l’autre, un hommage à ce que l’art a d’éternel, à la vulnérabilité des individus et à la fougue des Hommes.
Formé en interprétation théâtrale, Patrick R. Lacharité a contribué à différents projets, comme créateur et comme acteur, dans les dernières années. Depuis 2016, il codirige La Fratrie, une compagne de création en théâtre et en vidéo. Sa mise en œuvre de Ma tête est une ruche, en collaboration avec le comédien et auteur Sébastien Tessier, avait été remarquée à sa création, au Théâtre La Chapelle, en 2015. De nombreux collaborateurs d’alors sont toujours derrière lui et sur scène dans cette nouvelle création.
En prenant place dans la salle, on fait face à un acteur (Yann Villeneuve) paré, coloré, robe et col simili-élisabéthain sur talons hauts contemporains. Quand le noir se fait dans le théâtre, celui-ci prend la parole dans un micro, donnant tout de suite le ton de ce qu’on s’apprête à vivre et à entendre: la langue de Shakespeare, remâchée avec avidité et malice. La proposition est sensuelle et ludique.
En s’intéressant aux sonnets laissés par le célèbre auteur anglais, R. Lacharité s’est toutefois gardé de répliquer les codes anciens. Il traduit certaines idées de l’œuvre littéraire à la scène avec un plaisir gourmand. La luxure qui transparaît dans les vers et la violence de l’époque sont transposés en concert rock, la légèreté d’une voix amoureuse et les échos des douleurs qu’elle cause prennent place dans un jardin de fleurs de plastique que hante une jeune femme, mi-nue… mi-statue. La pièce est sublime d’anachronismes et de commentaires sur la recherche artistique même. Les mots célèbres font tableau dans le fleuve tranquille des corps qui coulent d’une image à l’autre. L’exploration physique prend donc le dessus sur les textes, parfois retravaillés en chansons, portés dans leur anglais original ou traduits en français- un français plus québécois que normatif, décomplexé et qui permet d’accéder aux vers avec grand bonheur.
Les thèmes majeurs que sont l’amour, l’art et la douleur ne périment pas et l’équipe nous en fait rêver, nous fait rire et pose des questions sincères à leur génération et à leur milieu. Toutes les images ne sont pas nouvelles ou inédites, mais c’est un réel plaisir que d’assister à cette réappropriation, commentée par les interprètes à différents moments. En exposant le désir de se projeter dans l’éternité par la création, l’équipe passe de l’authenticité d’un idéal charmant à la dérision nécessaire que fournit Sébastien Tessier, qui est tout à fait rafraîchissant. Tout cela est à l’image des conversations qu’ont les artistes entre eux devant le rêve de créer quelque chose qui les dépasse.
La matière première est finalement prétexte à animer les corps en écho ou en réponse à l’auteur immortel qu’est Shakespeare. On tangue entre les moments de douceurs (entre autres avec la voix magnifique de Fanny Migneault-Lecavalier), le rire et le déchaînement que les interprètes présentent avec grande énergie. Nous serons éternels est une agréable incursion dans la jeune tête d’un créateur, qui s’est magnifiquement entouré.
Voyez Nous serons éternels au Théâtre La Chapelle jusqu’au 28 avril 2019.