La salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier accueille la nouvelle production du dramaturge et metteur en scène Steve Gagnon, Pour qu’il y ait un début à votre langue.
Cette pièce est librement inspirée des œuvres romanesques de Sylvain Trudel ; Le souffle de l’harmattan ainsi que Du mercure sous la langue. M. Gagnon a donc tenté de raconter le sacré, de saisir l’identité individuelle et de définir ce qui sépare la nouvelle génération du pays de leurs parents.
C’est l’histoire de Frédéric. Il a la mi-vingtaine et il est en train de mourir. Dans une aile réservée aux soins palliatifs, il a pris une décision: se taire. Ne pas mourir dans la langue de sa mère. Le récit alterne entre passé et présent, entre un Frédéric de 15-16 ans, amoureux, brûlant d’un autre feu. Et un Frédéric malade, silencieux, dont la braise s’éteint tranquillement, pour ne devenir que cendre.
La salle Fred Barry est installée de manière bifrontale. La scène est somme tout assez épurée: au centre trône un lit petit lit simple. Sur l’un des côtés, il y a un vieux four et sur l’autre, un petit espace où les acteurs attendent patiemment leur tour pour entrer dans l’aire de jeu. Les dispositifs scéniques sont à la vue et les spectateurs se font face. L’aspect bi-frontal n’est pas particulièrement utilisé, mais les comédiens remplissent bien l’espace de jeu, allant dans les estrades par moments. L’absence de coulisses oblige les acteurs à rester présents dans l’action et cela se ressent dans leur jeu.
Frédéric Lemay, dans le rôle homonyme, apporte une belle sensibilité et vulnérabilité à son jeu. Il passe très bien du Frédéric adolescent au Frédéric jeune adulte, y apportant une énergie différente. Le personnage du grand-père, très bien rendu par Richard Thériault, est quant à lui très touchant.
Certains acteurs donnaient toutefois l’impression de ne pas s’être encore totalement appropriés les mots de Steve Gagnon. Pour ceux qui ont assisté à d’autres pièces de l’auteur-interprète, il est souvent l’acteur principal dans ses créations. Ce qui est très bien; après tout, qui de mieux que la personne qui a écrit le texte pour l’incarner?
Cependant, il était aisé de voir le débit et le rythme de Gagnon dans le type de jeu des interprètes. L’impression que ces derniers prononçaient les mots de quelqu’un d’autre, au lieu de sentir le personnage parler à travers eux se faisait sentir dans leur interprétation.
La puissance des objets
Un bel apport à la dramaturgie est la représentation des personnages à travers un objet. La mère et son rôti de bœuf, le père et l’ordinateur, la grand-mère et ses milliers de sacs. Leur désemparement est représenté par ce qui les retient derrière, ce qui les enracine et les empêche de voir.
Les thèmes sont très bien représentés; cependant, le texte aurait gagné à être plus travaillé. L’exploitation desdits thèmes va dans tous les sens. Le spectacle aurait eu avantage à couper dans la durée (2h10 sans entracte) et à raffiner ses longs monologues et envolées lyriques. Le chaos du texte donnait l’impression d’être davantage imputable à un manque de finition qu’à un effet littéraire délibéré. Pour un auteur qui vise habituellement toujours dans le mile, il peut vraisemblablement faire mieux.
Les moments forts du spectacle sont difficiles à isoler, car l’intensité plafonne et reste présente pendant toute la représentation. Les moments de calme, de douceur, de tendresse, de simplicité, restent les plus significatifs, car rares et précieux. Une variation plus fréquente dans le ton et une ascension moins marquée auraient changé la donne.
Le sujet demeure vif et exigeant. Il y a un besoin grandissant de la nouvelle génération de se détacher de ce que leurs parents, leurs ancêtres, ont laissé derrière. La volonté de prendre leurs propres décisions et d’explorer toujours plus loin. Puis d’être arrêté par le définitif de la mort. L’optimisme qui se tait. L’Ailleurs qui brûle. Mais il y a toujours de l’espoir.