Chloé Ouellet-Payeur
Comment critiquer Romeo Castellucci, maître de son genre? Chez les artistes de la scène contemporaine, c’est unanime, les pièces de Castellucci sont si singulières et puissantes qu’on ne peut qu’admirer son travail.
Plusieurs mois avant le début de cette 10e édition du Festival TransAmériques, le spectacle affichait déjà complet. N’ayant pas vu venir le coup, je pensais, comme de nombreux autres, avoir raté ma chance de voir enfin, en vrai, un spectacle signé Castellucci. Son retour à Montréal, quatre ans après Sur le concept du visage du fils de Dieu au FTA 2012, était attendu avec impatience. J’ai eu la chance de décrocher un billet à la dernière minute pour sa dernière création, Go Down, Moses, présentée au Théâtre Denise-Pelletier du 2 au 4 juin 2016.
Sur la page web du FTA, on peut lire qu’il s’agit de « théâtre ». Selon mon expérience de jeune danseuse et avide spectatrice de toutes formes de spectacle vivant, j’ai souvent de la difficulté à rester attentive devant des spectacles de théâtre : quand les corps des interprètes perdent leur charge au profit d’un texte étoffé, mon attention se dissipe. Cependant, ce n’est pas ce qui se passe avec Go Down, Moses. Contrairement aux spectacles de théâtre traditionnel, où le texte est matériau central, le travail physique des interprètes occupe une place aussi importante que le texte. Même sans la présence des interprètes, dans les noirs et dans les silences, l’espace scénique demeure chargé en tout temps. Que ce soit par la scénographie imposante ou par les différentes couches d’ambiance sonore habilement ficelées avec l’aide d’Asa Horvitz (assistante à la conception sonore), la scène est toujours habitée. Impossible de décrocher.
Nul besoin d’un récit spécifique. Castellucci tricote habilement différents tableaux scéniques aux esthétiques distinctes, mais étrangement cohérentes dans l’ensemble du spectacle. Ces choix permettent au spectateur une interprétation et une expérience propres. Toute l’action scénique se passe derrière un tulle, mise en place d’un réel quatrième mur définissant une relation claire au spectateur et amenant l’onirisme.
Avec le titre Go Down, Moses, faisant référence à un chant gospel, on réaffirme que Castellucci s’intéresse, dans la lignée de ses œuvres précédentes, à la religion (du latin religare, tenir ensemble) et à sa capacité de réunion. Le metteur en scène – scénographe écrit dans son programme de soirée : « Notre monde, desséché par l’omniprésence de la communication, avec ses images envahissantes, peut être considéré, pensé comme un désert. Toute l’humanité aujourd’hui est tombée dans un esclavage invisible, un esclavage doux. » Quoi de mieux, donc, que de se réunir au théâtre pour célébrer la condition humaine, souvent tissée de vices, mais si criante de vie.