Est-ce vraiment du théâtre? S’agit-il d’une oeuvre à proprement parler? Ou se retrouve-t-on plutôt devant une catharsis au sens le plus pur du terme? Création déjantée, L’Exhibition, présentée à La Chapelle, permet de plonger carrément dans le terrier du lapin blanc et de s’envoler vers le Pays des merveilles.
Par une froide soirée d’hiver, l’antichambre de La Chapelle ne compte qu’une vingtaine de spectateurs. Ambiance feutrée, légère tension dans l’air… Que nous réservent les trois artistes? Déjà, les spectateurs entrent par les loges, débouchent sur une scène vide, à l’exception d’une structure cubique faite de tubes lumineux et de grands pans de toile plastique installés tout autour. Voir arriver nos trois lascars, Emmanuel Schwartz, Francis La Haye et Benoit Gob en tenue de plastique, à l’image de membres de la police scientifique, évoque brièvement des images d’American Psycho et d’hémoglobine. Fort heureusement, tout ce plastique est plutôt lié au concept de virginité artistique, de canevas neutre, plutôt que de séance de défoulement à la hache.
Qualifier L’Exhibition de projet expérimental serait réducteur; force est d’admettre, toutefois, que les trois créateurs ont résolument cherché à briser le cadre structurel et narratif des pièces traditionnelles. À preuve, d’abord, cette narration omniprésente, qui décrit entre autres des décors et des gestes qui n’existent que dans l’imagination des artistes – et celle des spectateurs. À preuve, aussi, cette impression persistante qu’il existe un deuxième, voire un troisième niveau à cette performance d’une heure et des poussières.
Devant ce que l’on perçoit comme une volonté de se débarrasser des codes de la profession, de faire place nette, d’aspirer à quelque chose de mieux, de pur, qui transcende le théâtre lui-même, qui dépasse les murs de brique de cette salle obscure du Plateau-Mont-Royal, qui touche peut-être à l’Abstrait avec un grand A, le spectateur est d’abord surpris. Surpris, en effet, parce qu’avec un spectacle présenté à 19h, il est plutôt coutume de s’asseoir et de consacrer une partie de son énergie à digérer le repas encore frais en mémoire. Et pourtant, ici, de façon tout à fait scandaleuse, on nous demande de réfléchir, de se projeter ailleurs. Avec un plaisir non dissimulé, le spectateur se laisse entraîner dans cette aventure théâtrale. Est-ce une descente vers la folie? S’agit-il d’une forme d’autodestruction artistique? Nul ne le sait, mais l’odyssée en elle-même justifie d’en prendre le risque.
Création théâtrale hors de l’ordinaire, aventure artistique risquée, L’Exhibition propose une absolution culturelle trop souvent inatteignable. Sommes-nous dignes, toutefois, d’y parvenir? À voir, sans modération.
L’Exhibition, jusqu’au 9 mars à La Chapelle