Plus accessible, plus près d’un genre et plus éclaté et ambitieux que la majorité de ses films précédents, ce qui n’est pas peu dire quand on défriche sa filmographie, Denis Côté propose avec Répertoire des villes disparues, un film tellement disparate qu’on ne sait plus vraiment à qui son film s’adresse véritablement, ou s’il s’adresse nécessairement à quelqu’un.
À l’instar de Robin Aubert qui semble finalement avoir ouvert la brèche du film de genre fantastique et horrifique qu’il essayait de populariser depuis son inoubliable Saints-Martyrs-Des-Damnés, Denis Côté ne s’éloigne pas trop des terrains connus comme l’avait fait Kim Nguyen et son mésestimé Truffe, et s’approprie les revenants à sa manière. Prenant la notion de ces êtres « sans vie » au pied de la lettre, il garde le suspense, mais se départit de toute possibilité d’action pour s’ancrer davantage dans le réel que le faisait Aubert avec son jouissif Les Affamés.
Intéressé par ce qui lie et diversifie les habitants d’un petit village de région, Irénée-les-Neiges, Côté maximise la profondeur psychologique et prend le temps de les développer et les nuancer en les plaçant au pied du mur face à un drame inconcevable qui marque seulement le début d’une succession d’épisodes inexplicables.
La mort d’un jeune n’est pas définie. Accident ou suicide? Personne n’a la réponse exacte. Et peu de temps après, des « êtres » commencent à hanter le village. La mairesse, convaincue que puisqu’ils se connaissent tous et sont vraisemblablement unis, croit dur comme fer qu’ils arriveront à s’en sortir ensemble. Sauf que la morosité de l’hiver québécois et l’isolation de cet endroit au bout de nulle part n’offrira pas beaucoup d’aide à ces âmes esseulées.
Librement adapté du roman de Laurence Olivier, le long-métrage ici présent s’amuse à sortir de sa zone de confort une distribution de grand prestige qui patauge comme des poissons dans l’eau dans cet univers singulier. Larissa Corriveau rappelle par moment Shelley Duvall dans The Shining, dans un rôle toujours à cheval sur plusieurs mesures, alors que Rachel Graton continue de s’enligner dans ses névroses habituelles. Celles-ci sont toutefois à l’image de la force du pendant féminin de la distribution, alors qu’un Jean-Michel Anctil effacé et un Robert Naylor intrigué n’arrivent pas à faire le poids face à Josée Deschênes et Diane Lavallée, au grand sommet de leur forme, elles qui se font trop rares sur nos écrans.
Il y a aussi une véritable beauté dans la morosité d’ensemble. La pellicule granuleuse est soignée et la direction artistique, constamment magnifiée par des choix esthétiques qui ne veulent certainement pas se laisser abattre par le manque d’attrait de la saison la plus glaciale, profitant au maximum de ses capacités et des troubles et angoisses qu’il peut apporter dans sa grisaille, son silence et sa noirceur.
Malheureusement, cette œuvre trop souvent contemplative n’est pas offerte sans prétention, et dans cette immense métaphore sur l’exode des régions et les rêves de grande ville, on donne rarement dans la subtilité. Oeuvre dénuée de réponses comme on s’y attend, tout est dans l’expérience et le spectateur, qu’on ne veut certainement pas prendre par la main, finit par s’ennuyer dans les nombreux tournants, alors que la narration divague d’un personnage à l’autre dont l’intérêt est forcément inégal, comme l’est généralement un collectif de courts-métrages.
Quant au ton, qui oscille entre drame, comédie inattendue et suspense semi-horrifique, ne cadre pas toujours.
Plus fort dans son appropriation du deuil que dans ses délires plus simplistes, le film n’effraie pas et ne touche pas non plus. Il est là, souvent prévisible dans ses révélations; on en apprécie l’effort et les nombreuses qualités, mais on l’oublie aussi rapidement, alors qu’à l’image de ces êtres qui ne font finalement pas grand-chose pour se faire remarquer, le film n’en fait pas tant non plus pour nous impressionner.
5/10
Répertoire des villes disparues prend l’affiche en salles ce vendredi 15 février.
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