Sur les planches du Théâtre du Nouveau Monde, le metteur en scène Robert Lepage propose une adaptation à la fois classique et contemporaine de Coriolan, drame intemporel de nul autre que William Shakespeare.
Coriolan doit-il sa chute à son orgueil démesuré ou, au contraire, à sa modestie maladive? À son mépris du petit peuple, lui qui fait partie des grands? À son incapacité à moduler ses paroles et donc à faire œuvre de politicien, lui qui voue un culte à la vérité? À l’influence qu’exerce sa mère sur lui, tandis qu’il lui est tellement attaché? Ou encore à son attirance irrésistible pour son ennemi Aufidius avec lequel il forme un couple inséparable de quasi jumeaux – à la fois identiques et opposés – comme on en rencontre souvent dans les pièces de Shakespeare?
Peut-être aussi que toutes ces thèses et d’autres encore sont vraies sans être d’ailleurs exclusives les unes des autres. C’est le propre du génie de Shakespeare que de donner à penser à l’infini.
Ce qui est sûr, c’est qu’une œuvre comme Coriolan de Shakespeare, même si elle se situe dans la Rome antique du 5e siècle avant notre ère, est parfaitement transposable dans le monde contemporain. Et pour le démontrer, on peut faire confiance à la mise en scène une fois de plus époustouflante de Robert Lepage, qui maîtrise aisément cette oeuvre pourtant si complexe et qui donne à voir tant de lieux et de personnages.
L’imagination de Robert Lepage donne une idée de l’infini, et quand une envie lui traverse l’esprit, on peut être sûr qu’il se donnera les moyens de la réaliser. La mise en scène qu’il propose pour Coriolan est stupéfiante! Lepage est un véritable magicien capable non seulement de montrer des dizaines de décors somptueux dans des formes et des situations variées, mais de les faire coller avec le monde contemporain sans renoncer à l’esprit et à la beauté de la Rome antique.
Ainsi, après avoir vu les lèvres de la statue de Coriolan qui orne une fontaine de Rome bouger pour nous introduire à la situation de l’acte 1, on se retrouve sur le plateau d’une radio où un journaliste confronte deux invités dont l’un représente le peuple et l’autre le pouvoir.
La manière de s’y prendre de Lepage introduit ainsi toute la technologie qui fait désormais partie de notre univers et qui n’existait évidemment pas dans la Rome de Coriolan: émissions télévisées, média sociaux, téléphones cellulaires, textos, automobile, bureaux, ordinateur, restaurants, tags sur les murs de la ville, hélicoptère et j’en passe. Mais Lepage ne renonce pas pour autant aux discussions entre hommes dans les thermes ni aux rencontres au Forum ou sur une place publique en présence de la plèbe.
Il serait trop long d’énumérer tous les tableaux qui sont présentés dans cette œuvre qui, grâce aussi probablement à l’adaptation du texte qu’en fait Michel Garneau, est parfaitement limpide, se suit non seulement très bien mais introduit un humour et des clins d’œil qui ajoutent au plaisir du spectateur. Les rôles sont parfaitement tenus par une distribution de très haut calibre, les effets spéciaux réglés comme du papier à musique. Lepage utilise des projections sur des écrans plus ou moins opaques, joue sur plusieurs niveaux de scène, réduit notre champ de vision quand il le juge utile, nous fait vivre la bataille contre les Volsques comme si on y était grâce à une caméra GoPro que manie un enfant, le fils de Coriolan, avec ses jouets… C’est tout juste si on ne se croirait pas, par moments, au milieu des manifestations de gilets jaunes en France…
Coriolan est une pièce à ne pas manquer. On savait que Shakespeare avait du génie; Lepage en a assurément, lui aussi.
Coriolan, du 15 janvier au 16 février 2019 au TNM. Texte de Shakespeare, traduit et adapté par Michel Garneau, mise en scène de Robert Lepage.
Un commentaire
Pingback: Basse-ville, la balade pour contrer l’ennui