L’utilisation de la technologie numérique par les ingénieurs a influencé le travail des architectes par rapport à la conception de la forme et des contours du bâtiment, d’après l’exposition Archéologie du numérique présentée du 11 mai au 16 octobre au Centre canadien d’architecture (CCA). L’optimisation de la structure du bâtiment à l’aide de logiciels transforme la façon de travailler des ingénieurs et des architectes, a confié Michel Langlais-Parent, ingénieur en structure depuis neuf ans.
L’apparition de la troisième dimension au cinéma et dans les jeux vidéo a permis de nous familiariser avec la modélisation. Un personnage modélisé, par exemple, se constitue d’un volume virtuel même s’il est présent sur un écran plat. Peu à peu, le procédé de « photoréalisme » qui permet de voir sous toutes ses facettes l’élément en 3D s’est complexifié et a altéré la perception du spectateur et du joueur.
Les architectes ont intégré l’aspect ludique et le potentiel créatif de la modélisation dans leur pratique. Au niveau du revêtement de la structure, comme des briques qui recouvrent un mur, il est maintenant permis d’« exploiter plutôt que d’éliminer les variations » de chaque type de brique. Les méthodologies algorithmiques d’assemblage et de distribution, de briques dans ce cas, permettent de maximiser la gestion des façades à couvrir par « incrément».
Auparavant, un bâtiment se concevait par les lignes tracées à partir des coordonnées x, y et z. Deux terrains côte-côte semblaient disparates sur les plans papiers. Grâce au numérique, la topologie crée des rapports entre les constructions, le sol et le paysage. Les courbes numériques permettent de tisser une continuité entre les terrains. Ainsi, les surfaces inclinées et ondulantes, comme une rive ou une vallée, du paysage extérieur ont été transposées vers l’intérieur du bâtiment par les architectes.
La topologie en architecture provient des approches topographiques du relief dans l’architecture du paysage du génie civil responsable des routes, des ponts et des excavations. Le numérique a permis des avancées à savoir si une structure sera résistante aux tremblements de terre. « Avec les logiciels, on peut voir comment un bâtiment va se comporter dans telle ou telle région au millimètre près », a affirmé l’ingénieur en structure, Michel Langlais-Parent.
Boîte noire
À la différence du rôle esthétisant des effets spéciaux au cinéma et dans les jeux vidéo, l’espace virtuel de la modélisation doit correspondre à l’espace physique bien réel en ingénierie. « Parfois, je suis obligé de contre-valider. Je sors ma calculatrice. C’est peut-être juste une subtilité, une calibration mal faite dans le logiciel. C’est là que l’expérience devient importante », me confie M. Langlais-Parent qui a commencé sa carrière comme chargé de projet sur un chantier. À son avis, l’ingénieur d’avant l’ère numérique qui « calculait tout à la main » comprenait mieux « le terrain », tandis que le jeune ingénieur a tendance à trop se fier aux logiciels.
La précision technique du numérique permet aux ingénieurs de connaître « à la virgule près » la charge supportée par une colonne ou une poutre. Ainsi, le logiciel optimise la structure comme pour le revêtement par « incrément » en architecture. Cette rapidité de calcul est contrebalancée par le temps que requiert l’apprentissage de nouveaux logiciels complexes. « Cet hiver, j’ai travaillé sur deux projets d’école en même temps, sur deux logiciels différents un que je ne connaissais pas, ce n’était pas évident », me confie-t-il. Que la structure soit en béton, en acier ou que l’ingénieur y intègre une structure en bois, chaque matériau a son logiciel.
L’ingénieur en structure a constaté que le numérique a engendré une spécialisation du travail dans la firme pour laquelle il travaille depuis sept ans. Lorsqu’il a commencé, le génie en structure et le génie civil étaient assurés par un seul département. Aujourd’hui, le génie en structure est assuré par tout un département aux côtés des autres : génie civil, mécanique, électrique, etc. Auparavant, les ingénieurs étaient responsables de l’ensemble des projets, ce qui les rendait plus « polyvalents », soutient-il.
Ainsi, le numérique a engendré la spécialisation du travail qui a multiplié les acteurs participant aux projets. Là, où ça pose problème d’après M. Langlais-Parent, c’est au niveau de la communication.
Courriels à l’infini
Le temps où dessiner les plans marquait la fin de l’étape de la conception d’un bâtiment est révolu. « Le travail se fait en double, en triple. Ça augmente la marge d’erreur », déplore M. Langlais-Parent à qui on demande régulièrement d’apporter des modifications ou de carrément recommencer ses plans. Le prétexte évoqué par les clients est la rapidité d’exécution des logiciels, selon lui.
Aux demandes des clients dont la fréquence devient exponentielle avec l’utilisation des courriels – une autre facette du numérique – l’ingénieur en structure doit également composer avec les multiples versions de plan des architectes. « Si l’architecte oublie de noter un changement, sur le chantier le problème apparaît », affirme-t-il. La marge d’erreur devient réelle.
« Un oubli sur le chantier qui aurait pris 15 minutes à régler au bureau pendant la phase de plans et devis peut causer un conflit sans fin, avec des avocats », déplore-t-il. Dans cette optique, le numérique crée une pression additionnelle sur le travail des ingénieurs.
Si cela change, les responsabilités du milieu de l’ingénierie par rapport à la sécurité civile demeurent.