La théorie des systèmes complexes est habituellement utilisée pour étudier des sujets tels que le système immunitaire, le climat planétaire, les écosystèmes, ou encore le transport ou les systèmes de communication.
Mais alors que la politique mondiale devient de plus en plus imprévisible – comme par exemple le vote du Royaume-Uni sur le Brexit, et les élections présidentielles de Donald Trump aux États-Unis et de Jair Bolsonaro au Brésil –, elle est employée pour examiner la stabilité des démocraties.
Une équipe internationale et interdisciplinaire de mathématiciens, d’économistes, de psychologues, de philosophes, de sociologues et de politologues ont publié un examen collectif des travaux réalisés dans ce domaine dans l’European Journal of Physics.
La Dre Karoline Wiesner, de l’école de mathématiques de l’Université de Bristol, la principale auteure du rapport, explique « qu’il existe peu de travaux sur les circonstances en vertu desquelles peut survenir de l’instabilité au sein des démocraties. Nous ne disposons donc pas de la théorie nous permettant de démontrer comment une démocratie est déstabilisée au point de ne plus pouvoir être décrite comme une démocratie ».
« Cela reflète la façon dont l’Occident a vécu, ces 50 ou 60 dernières années. Mais les temps ont changé. Les citoyens membres de démocraties sont moins satisfaits de leurs institutions. Ils sont de plus en plus disposés à abandonner les institutions et les normes qui forment la base de la démocratie. Ils sont plus attirés par des régimes alternatifs, voire autocratiques. »
« De plus, poursuit la chercheuse, nous avons récemment vu des responsables élus, en Hongrie et en Pologne, faire pression sur des médias et saper les institutions telles que les tribunaux indépendants. Cela démontre la nécessiter de repenser les démocraties comme étant des institutions stables. »
La recherche de l’équipe se concentre sur deux caractéristiques des systèmes sociaux complexes en général, et des systèmes démocratiques en particulier: la rétroaction et la stabilité, ainsi que leur relation mutuelle.
Les experts ont examiné la façon dont la stabilité des institutions sociales sur lesquelles s’appuient les démocraties sont affectées par des boucles de rétroaction.
Inégalités, toujours les inégalités
Inégalités économiques, divergences politiques et impacts des médias sociaux sur les normes sociales sont autant d’aspects qui ont fait l’objet de l’étude
Selon les auteurs, « les inégalités économiques et la santé des démocraties sont étroitement liées. Nous savons que des inégalités plus prononcées sont associées à une santé plus faible et à des problèmes sociaux. Mais elles sont aussi liées à la polarisation politique ».
« Cela s’explique par le fait que la démocratie présuppose qu’il existe une égalité d’influence à la base. Mais lorsque les inégalités économiques augmentent, les différences d’influence sur les institutions augmentent également. Ceux qui possèdent d’importantes ressources financières peuvent influencer davantage les changements institutionnels que ceux qui en possèdent moins. »
Les chercheurs soutiennent « qu’une augmentation rapide et marquée des inégalités – telles que celles constatées après la réponse des gouvernements lors de la crise financière de 2008 – entraîne une corrosion de la relation entre les choix des électeurs moins nantis et les résultats institutionnels. Cela pourrait même mener à un gouvernement non-démocratique ».
L’équipe a également démontré qu’une diversité d’opinion extrême peut parfois provoquer de l’instabilité. Si une part de diversité et de désaccord partisan est sain, et même nécessaire dans une démocratie, une trop grande part peut mener à une incapacité à se comprendre et à résoudre conjointement des problèmes.
La radicalisation et la polarisation viennent empirer ce phénomène. La première se produit lorsque les élites politiques tentent de remanier le système pour obtenir des avantages permanents en contournant les règles, en ignorant les normes, et en adoptant des stratégies qui semblaient être hors limites.
La polarisation implique une érosion des valeurs communes. Cela mène des membres d’une coalition partisane à ignorer des menaces potentielles envers la démocratie, en s’appuyant sur la croyance voulant que si leurs adversaires prenaient le pouvoir, la situation empirerait.
Comme l’explique le professeur Henry Farrell, l’un des coauteurs américains, « aux États-Unis, où les médias sont moins encadrés que dans des démocraties comparables, nous avons vu cela se produire. La radio parlée et Fox News alimentent depuis longtemps une frange conservatrice désireuse d’obtenir des informations et des opinions qui viennent renforcer leurs croyances.
« Cela crée une boucle de rétroaction alimentée par des impératifs commerciaux entre le média et son public. De façon similaire, la compétition partisane et le besoin de soutenir ou de bloquer des objectifs politiques pourrait entraîner une boucle de rétroaction entre les médias et les acteurs politiques. »
Délitement social
Enfin, les auteurs se sont penchés sur la façon dont les institutions sociales peuvent être mises à mal par l’érosion des normes sociales.
« La majeure partie d’une démocratie s’appuie sur des normes, des conventions et des attentes en lien avec le comportement des gens », affirme Stephan Lewandowsky, le psychologue de l’équipe. « Cela veut dire que plusieurs processus psychologiques peuvent contribuer à la stabilité ou à l’instabilité d’une démocratie. »
« Les médias sociaux peuvent avoir un profond impact sur ces processus. Il existe bien des preuves démontrant que la force avec laquelle des gens détiennent une opinion est proportionnelle à leur idée selon laquelle d’autres personnes partagent la même opinion. »
« Mais que faire si le signal n’est pas clair? Des points de vue extrêmes peuvent se répandre lorsqu’ils sont légitimés par un appui réel ou présumé de la majorité. Cela vient conforter les opinions extrêmes et peuvent empêcher tout changement », ajoute encore le chercheur.
Selon ce dernier, « le fait que toute opinion, peu importe son absurdité, sera partagée par au moins quelques-uns du milliard d’utilisateurs de Facebook sur la planète crée une opportunité favorisant l’émergence d’un faux effet de consensus autour de n’importe quel avis extrême, puisque le signal social est brouillé par l’interconnectivité mondiale ».
Autre point de contention: les algorithmes employés par les réseaux sociaux pour alimenter les fils d’information des utilisateurs. Le Brexit est ici de nouveau employé comme exemple, ou encore l’élection présidentielle américaine de 2016, autant d’événements où des données fortement personnalisées étaient accessibles aux responsables politiques, et ont été utilisées pour ouvrir la voie à du micro-ciblage exploitant les vulnérabilités des individus.
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