Écrite dans les années 70, Bonjour là, bonjour de Michel Tremblay semble nous parler de la revendication de la jeunesse à la liberté de l’amour caractéristique de cette période de l’histoire. Mais peut-être s’agit-il plutôt de la difficulté d’exprimer son amour, celui en particulier qu’un jeune homme éprouve à l’égard de son père.
Mise en scène avec beaucoup d’émotion par Claude Poissant, dans une belle scénographie d’Olivier Landreville, et portée par une distribution magistrale, Boujour là, bonjour plonge le spectateur au cœur de la singularité d’une famille québécoise, avec ses secrets, ses manques, ses dysfonctionnements et ses efforts pour communiquer l’évidence des sentiments.
Serge, 25 ans, revient d’un voyage de trois mois à Paris, trois mois loin des siens dans la ville-musée que les autres membres de la famille n’ont jamais vue. Cet éloignement, cette vacance, ce vide à lui-même, pour quoi faire?
Serge est le petit dernier. Quatre sœurs l’ont précédé, comme si ses parents avaient attendu de mettre au monde un garçon avant de s’arrêter d’agrandir la famille. Il y a Lucienne, l’aînée, installée dans sa riche maison avec son mari anglophone, ses trois enfants, et dont l’amant a l’âge de Serge; Monique dépressive chronique avec son mari représentant de commerce et sa belle-mère à la maison; Denise qui ne recherche et ne trouve de satisfactions que dans l’absorption de nourritures; et enfin Nicole, la plus jeune et la plus proche de Serge. Et puis il y a Armand, le vieux père veuf qui n’entend rien ou presque, même équipé de ses appareils auditifs, et qui vit désormais avec ses deux sœurs hypocondriaques et bavardes.
La pièce est organisée de telle sorte qu’à travers une structure chorale et même musicale, petit à petit, le spectateur parvient à reconstituer l’environnement de Serge et la place qu’il occupe dans la famille. Serge se trouve au centre, il est celui que les autres n’ont pas vu depuis longtemps, qui lui posent mille questions, lui font mille demandes et le gavent de tout ce qu’ils ne lui ont pas donné pendant son absence.
Mais je me suis demandé si tout ce qu’on entendait et voyait dans la pièce ne se situait pas dans la seule personne de Serge, comme un reflet de ce qu’il ressent de sa famille à son retour, après s’en être éloigné quelque temps, et en écho avec ses propres préoccupations pour pouvoir prendre son envol vers la vie. Au début de la pièce, les décors sont encore empreints des architectures parisiennes qui s’effacent progressivement et donnent place à des murs blancs à la fin. Serge a brisé le tabou de l’amour et a décidé de s’installer dans une relation interdite et scandaleuse, à moins que, dans la psychopathologie de cette famille où Serge n’a jamais pu communiquer clairement son amour à son père, il ait besoin de dépasser fantasmatiquement les limites et vivre ou seulement prétendre à une relation extrême pour parvenir à dire.
Une chorégraphie particulièrement émouvante dont Claude Poissant a le secret (toutes les mises en scène de lui que j’ai eu le bonheur de voir en comportaient, et toujours à la fois originales et à-propos) fait état de cette relation tabou débridée, pleine à la fois d’amour, de rapprochements, mais aussi d’impossibilité.
Bonjour, là, bonjour du 7 novembre au 5 décembre 2018 au Théâtre Denise-Pelletier. Une pièce de Michel Tremblay; mise en de scène Claude Poissant, avec Sandrine Bisson, Mireille Brullemans, Francis Ducharme, Annette Garant, Diane Lavallée, Mylène MacKay, Gilles Renaud et Geneviève Schmidt.
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