René-Maxime Parent
On oublie souvent la spécificité de Montréal lorsqu’on la compare aux autres villes. L’exposition Une modernité des années 1920 Montréal, le Groupe de Beaver Hall présentée du 24 octobre 2015 au 31 janvier 2016 au Musée des beaux-arts de Montréal nous rappelle la morphologie urbaine de cette métropole, la première du pays.
Cette exposition s’adresse à un large public. Ses toiles, ses dessins, ses sculptures et autres artéfacts visent à reproduire un carrefour à divers niveaux. Les visiteurs qui se rebutent à l’abstraction et à l’art contemporain vont trouver leur compte dans cette peinture moderne qui mélange les courants antérieurs, les coups de pinceau précis, fauvistes et impressionnistes, et ultérieurs, les contrastes criards ou le recours à une simplicité figurative.
Ces œuvres nous guident dans des zones parallèles également, nos yeux roulent du découpage angulaire du futurisme jusqu’aux formes incongrues de l’art naïf. Devant la lumière du tableau de John Y. Johnstone, on peut avoir l’impression d’être quelque part au Mexique. Les couleurs sont abondantes et vives, parfois fluorescentes. Cependant, ces toiles sont très sombres, étrangement. C’est comme si on faisait surgir un bouquet coloré d’un univers blanc et noir.
Avec ses salles de cinéma, ses théâtres et ses concerts de jazz, Montréal était une plaque tournante des années 1920 dans la trajectoire des grandes villes de la côte est. Le Groupe de Beaver Hall a peint cette activité urbaine, tout en se rendant dans les régions plus éloignées de la province pour peindre des paysages, des scènes collectives et des portraits. Une Indienne, un bûcheron et un violoniste figurent parmi les modèles des nombreux portraits.
Artistes de la relève
Au 305 côte du Beaver Hall, fin mai 1920, un groupe de jeunes artistes visuels se forment à la suite de la formation du Groupe des Sept à Toronto. Le groupe de Montréal se distingue par sa composition mixte, autant d’hommes que de femmes. Son étude a toujours mis de l’avant la particularité du regard féminin et de l’affirmation sociale de ces femmes à travers la peinture, en tant qu’artiste-peintre et modèle, en opposition aux inégalités de leur époque.
Au Square du Beaver Hall, en 1921-1922, s’est érigé l’immeuble de la société Crane Ltd. dont la toile d’Anne Savage rend bien la démesure de sa taille. De même qu’à New York et à Chicago, la modernité a laissé pour trace ces structures gargantuesques. Le peintre Adrien Hébert rend cette verticalité vertigineuse avec Le Port de Montréal, Le Silo No. 1 et Silo à grain No. 3. Ses toiles sur les rues Sainte-Catherine et Saint-Denis illustrent la circulation urbaine incluant les tramways.
Cette idée de carrefour se retrouve la raison d’être de ce groupe. D’une part, ces artistes voulaient peindre en dehors de l’institution pour développer leur propre style comme plusieurs l’ont fait en France, et d’autre part, ces artistes allaient à l’encontre de la tradition américaine en intégrant le nu, proscrit jusqu’ici. La situation interculturelle de Montréal a favorisé son émergence.
À ne pas manquer dans une autre salle du musée, l’installation d’art vivant From here to ear de l’artiste Céleste Boursier-Mougenot où des oiseaux sont laissés en liberté dans une salle fermée. Ce lieu contient plusieurs guitares et basses électriques posées sur des trépieds. Au moment où un oiseau se pose sur les cordes, bouge et se promène sur l’instrument, cela produit des sons diffusés par l’amplificateur électrique. Le visiteur s’y promène comme s’il était en forêt.