Nathalie Lessard
Drame déchirant de deux amours inavouables et controversés, celui à sens unique de Monseigneur Bilodeau pour Simon et celui, partagé, de Simon pour Vallier, et série de bouleversements, c’est ainsi qu’on pourrait résumer dans le plus strict essentiel Les Feluettes. Trente ans après sa création, la pièce de Michel-Marc Bouchard s’invite à l’opéra, arène idéale où le tragique peut se jouer. Et du tragique (feux, peines, larmes, passions, déclarations d’amour, déchirements, trahisons, mensonges, etc.), l’œuvre en regorge.
Pour étoffer notre résumé, on ajoutera que l’évêque Bilodeau, qui voit trop bien les sentiments de Simon et Vallier (respectivement Étienne Dupuis et Jean-Michel Richer, tous deux exceptionnels), tente de les détourner l’un de l’autre. Son harcèlement poussera Simon dans les bras de Lydia-Anne (sublime contre-ténor, Daniel Cabena), fille de la comtesse de Tilly (le baryton Aaron St.Clair Nicholson) et cristallisera le drame.
L’histoire s’ouvre en prison. Bilodeau (le ténor Gordon Gietz) vient entendre l’ultime confession du vieux Simon (Gino Quilico) qu’il a connu autrefois. Le prétexte de confession n’est évidemment qu’un piège, puisque le prisonnier et ses codétenus (11 choristes doués) forceront l’évêque à assister à une représentation des événements ayant mené à l’incarcération de Simon. L’heure de la vengeance a sonné.
En entrevue, l’auteur confiait: « Les idylles homosexuelles ont parsemé les œuvres classiques à travers des amitiés viriles, mais jamais n’a-t-on raconté dans un grand opéra la passion ouverte entre deux jeunes hommes s’embrassant et faisant l’amour sur scène. Même si l’acceptation de l’homosexualité a fait des pas de géant en Occident ces dernières années, il reste encore des murs à franchir. Jugé très conservateur, le milieu de l’opéra fait donc preuve d’une incroyable ouverture. Je suis très fier et j’ai hâte de voir les réactions. Je reste convaincu de l’universalité de la pièce. Homosexuels ou hétérosexuels, tout le monde peut s’y reconnaître. »
L’œuvre a été jouée en plusieurs langues un peu partout dans le monde sous diverses formes dont une version en comédie musicale, et elle a même été adaptée au cinéma.
Bouchard raconte aussi: « C’est justement en voyant le film dans les années 2000 que le compositeur australien Kevin March a eu l’idée d’en faire un opéra. C’est comme cela que l’aventure a commencé. Il voulait en faire absolument un opéra. On s’est rencontré à Montréal. Il m’a parlé de son projet. Moi qui ne pensais jamais que Les Feluettes finiraient un jour en opéra, le hasard fait bien les choses. J’avais maintenant une institution lyrique et un compositeur. Je me suis occupé du livret et la mise en scène a été confiée à Serge Denoncourt qui connaît bien l’œuvre pour l’avoir déjà monté plusieurs fois. »
La suite, on la connaît. Un opéra en deux actes est né. Et l’ampleur d’un grand amour a été révélée.
Les décors de Guillaume Lord et les costumes du regretté François Barbeau sont sobres, voire minimalistes et gris, mais efficaces. La scène n’est occupée que de barreaux de prison, de quelques tables et chaises, de savants éclairages et de l’orchestre en arrière-plan. Denoncourt refuse le tape-à-l’œil et les flaflas, préconisant le texte révélateur et l’action touffue aux artifices clinquants. Même les arrangements musicaux de l’Orchestre métropolitain (mené par Timothy Vernon) ne débordent jamais et demeurent très proprets et sans audace. Ici, la musique sert de lien à l’intrigue amoureuse. Bien joué! Puisque cette sobriété met de l’avant en permanence l’immense talent et la fougue des interprètes. La parole est directe et forte, et l’économie de moyens permet le déploiement de talents forts.
Croisement entre Roméo et Juliette et Hosanna (de Michel Tremblay), l’histoire fait ressortir toute la douleur des amoureux transis que seule la mort finira par séparer. On est extrêmement touché par ce drame sensuel et passionnel. Un seul bémol : trop peu de représentations. On en souhaiterait davantage.
Les Feluettes de l’Opéra de Montréal est présenté a salle Wilfrid-Pelletier, les 21, 24, 26 et 28 mai 2016.