Véritable lettre d’amour à la ville de Barcelone, la bande dessinée L’art de mourir de Philippe Berthet et Raule propose un polar sur le thème de la paternité qui possède la même qualité intemporelle qu’un film noir.
Philippe Martin, inspecteur de police à Paris, connaît la ville de Barcelone sur le bout des doigts puisqu’il y passe ses vacances chaque été depuis les Olympiques de 1992, mais sa plus récente visite dans la capitale catalane lui réserve quelques surprises. En plus de découvrir que son épouse, qui l’a quitté il y a maintenant vingt-cinq ans, lui a caché l’existence d’une certaine Emma qui serait sa fille, il apprend que le cadavre de cette dernière a été retrouvé dans sa baignoire avec les veines ouvertes. Son ex, à qui il n’a pas parlé depuis tout ce temps et qui ne croit pas à la thèse du suicide, lui demande d’enquêter même s’il est loin de sa juridiction, et en attendant les résultats de son test de paternité, Martin mettra ces deux jours à profit afin d’aller au fond de cette sordide affaire.
Bien que la majorité des illustrations de l’album soient lumineuses, L’art de mourir contient une ambiance qui s’apparente à celle d’un vieux film noir. Ce petit côté rétro vient tout d’abord de son héros, un gaillard à la mâchoire carrée peu loquace, presque monolithique, qui ne craint pas de bafouer les règles pour obtenir des résultats, et qui a un indéniable air de parenté avec le Philip Marlowe de Chandler. Malgré son atmosphère intimiste, l’intrigue de la bande dessinée, qui se déroule à la fois dans le monde criminel de Barcelone et celui plus pointu de l’art, est moderne, et ponctuée d’une violence juste assez graphique pour nous rappeler qu’en dehors des états d’âme de Martin et de ses interrogations sur la paternité, la situation demeure dangereuse.
Graphiquement, avec ses dessins s’inscrivant dans la tradition de la ligne claire, son impression mate et ses couleurs légèrement délavées, L’art de mourir évoque la version moderne d’une bande dessinée des années 1960 dans le genre de Blake et Mortimer. D’un trait élégant où aucune ligne n’est superflue, Berthet reproduit des lieux emblématiques de Barcelone n’apparaissant pas dans les guides touristiques habituels, comme le Ciutat de la Justicia, le bar de l’Hôtel Gaudi, le quartier paumé de Poblendu ou le labyrinthe d’Horta. Son gang criminel, dont les membres ont le visage entièrement couvert de tatouages, est à la fois menaçant et mémorable, et plusieurs scènes d’action, parmi lesquelles une bataille épique en hauteur dans le téléphérique Del Puerto, sont dignes de Mission Impossible.
Entre le clair et l’obscur, l’émotion et l’action, L’art de mourir est une bande dessinée de contrastes, et une belle découverte pour tous ceux et celles qui apprécient les polars se déroulant dans des zones morales grises.
L’art de mourir, de Philippe Berthet et Raule. Publié aux Éditions Dargaud, 64 pages.
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