Jumelant des sculptures de l’Antiquité à des visages contemporains, l’exposition Mon sosie a 2000 ans du Musée de la civilisation de Québec, présentée du 24 octobre 2018 au 12 mai 2019, est l’occasion de remettre en question le portrait au 21e siècle.
Assis dans le métro, le regard balayant l’intérieur du wagon, mon attention s’est arrêtée sur les jumelles chinoises assises devant moi, les deux concentrées sur leur téléphone intelligent telle une image symétrique. Premier réflexe, je m’assure qu’elles sont bien identiques en comparant le contour de leur visage, leur grandeur, leur bouche, leur nez, leurs yeux. Je pousse la comparaison plus loin constatant qu’elles ont le même manteau long, la même jupe et les mêmes souliers Doc Martens. La perfection cesse à la longueur de leurs cheveux. Celle de gauche a gardé sa couleur naturelle tandis que celle de droite l’a légèrement décoloré déclinant un manteau beige, une jupe tartan et des souliers mats à côté de sa sœur vêtue en noir, chaussée d’un cuir luisant.
L’exemple des jumelles introduit l’idée de ressemblance de même que celle de la complexité que leur apparence similaire induit pour l’observateur. Pour le photographe François Brunelle, son rôle était d’aider le sosie à «devenir» la sculpture dans son studio. Outre la prise du cliché, l’instantanéité de la photographie survient par l’immortalisation d’un moment historique, le Che d’Alberto Korda, ou par exemple, quand des cégépiens voient la photo de Baudelaire prise par Nadar dans leur cours de littérature. Après avoir lu sa poésie, le fait de voir l’homme, de mettre un visage sur l’œuvre, change notre rapport à l’icône.
Avant l’invention de la photographie, les sculptures dont celles prêtées par le Musée d’art et d’histoire et la Fondation Gandur pour l’Art de Genève remplissaient une fonction similaire statique, afin de créer une proximité illusoire. Ajoutant les masques du chirurgien-dentiste Dr Gaston Bernier du laboratoire d’épithésie 3D du CHU de Québec-Université Laval dans la composition des portraits, le visiteur est amené à faire le pont entre des représentations 2D et 3D. Bref, il se trouve confronté au vide du simulacre.
Rappelons-nous la dernière fois que deux parents nous ont présenté leurs enfants, provoquant le réflexe de dire quelque chose comme : il a les oreilles de son père, mais le menton de sa mère. Sans faire référence à la présence du fils d’une chargée de projet et d’un ami du photographe parmi les 25 sosies de l’exposition, le thème de la filiation est abordé dans l’exposition au point de sombrer dans l’inquiétante étrangeté.
Sous l’œil vigilant du photographe, un système de reconnaissance faciale a trié les portraits de plus de 108 000 participants issus des quatre coins du monde dans le but de trouver des visages qui correspondent aux 50 sculptures choisies pour leur morphologie dans les collections des deux institutions suisses. Étrangement, les sosies Amanda Bullis et Wesley Rowell vivent à quelques pâtés de maisons dans la ville américaine de Jersey.
Dans la plupart des cas, la symétrie est de mise. Cependant, la ressemblance entre le sosie Milo Desbiens et le buste d’un jeune homme mort provenant de Palmyre détonne puisqu’elle relève en partie d’un croisement. Les sourcils droits du buste rappellent les yeux droits du sosie, tandis que les yeux en amandes du buste rappellent les sourcils inclinés du sosie.
L’inconnu
À l’image du Parthénon d’Athènes, l’exposition prend place à l’intérieur d’une salle rectangulaire dans laquelle s’érigent des colonnes perforées pour laisser passer la lumière. Cet espace est bordé par deux divisions latérales à l’entrée et au fond de la superficie. Sur le mur du double fond, la photo de l’homme contemporain Olivier Trudel est comparée à celle d’une fresque funèbre représentant un inconnu d’Alexandrie.
Comment avez-vous été choisi?
J’ai été l’un des premiers à envoyer ma photo et la chargée de projet Coline Niess me disait : on revient constamment à toi pour ce visage-là. Le nez, les traits, les yeux…
Quelle a été votre réaction en voyant l’œuvre?
Ce que je trouvais le plus intéressant, c’était que le portrait soit un inconnu. Contrairement à d’autres qui sont associés à un général, un empereur… je ne suis pas un dieu, dans la vie je suis un inconnu aussi.
Le poids de l’Antiquité était-il lourd à porter?
Comme je ne suis pas à l’aise pendant une séance photo, je n’avais pas à incarner un personnage, la prestance ou la stature d’un empereur. Je me disais : sois naturel. De toute façon, le travail du photographe c’est de faire ressortir les traits pour le sosie.
Y’a-t-il une identité qui vient avec le visage?
Le portrait est un éditorial, c’est ce qu’on veut montrer aux autres. À l’époque, c’était pour montrer la richesse, la puissance, la place dans la société. Aujourd’hui, c’est un peu la même chose, pourquoi on a tant d’émissions de télé-réalité ?
Le dispositif photo comprend le maquillage, les poses et les éclairages, quel était l’équivalent pour votre sosie ?
Les statues du Fayoum étaient souvent des prêts-à-porter funéraires, probablement que la personne était déjà morte quand on a décidé de faire ce portrait. On essaye de mettre une image qui traverse le temps, qu’est-ce qu’on veut qu’on se souvienne de nous.
Servir le portrait?
C’est une seule même personne. Il y a moi aujourd’hui, il y a lui, puis il y a ce regroupement qui fait que nous avons les mêmes visages. Peu importe l’identité de la personne, les ressemblances apparaissent.
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Le portrait reconstitué dans l’exposition Mon sosie a 2000 ans nous renvoie à l’illusion d’une verticalité et d’une horizontalité parfaite du Parthénon, sa restauration a exigé la mise au point d’un système de correction optique.
Les visiteurs auront tout le loisir d’imaginer le leur en errant parmi les sosies.
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