Difficile d’affirmer qui était le plus virtuose entre le chef d’orchestre russe Vasily Petrenko et le pianiste français Jean-Yves Thibaudet. Une chose est certaine, il y a de ces duos qui sont plus que complices; ils sont gagnants. C’était le cas mercredi à la Maison symphonique, alors que l’OSM livra une époustouflante prestation franco-russe digne des plus grands concerts du répertoire classique.
Ce faisant, l’OSM s’approche en grand de la clôture de sa saison, reprenant un programme extrêmement ambitieux mariant le Concerto No 2. De Liszt avec la Symphonie No 1 “Titan” de Mahler. Le Corsaire, de Berlioz ouvrait quant lui la marche de cette soirée exceptionnelle.
Il y a de ces pianistes qui savent communier avec le public et transmettre une profonde affection pour leur musique. Cette transmission, ou plutôt cette cohésion, s’articule à travers une sensibilité à la technique souvent imparfaite, mais criante d’émotivité. Loin de créer une facture sonore froide et méthodique, on peut dire que Jean-Yves Thibaudet a su transpercer l’œuvre de Liszt jusqu’à nous, et ce d’une façon gracieuse, légère, ce qui n’est pas peu dire compte tenu de la lourdeur romanesque d’un tel concerto. Celui-ci s’articule comme un poème symphonique découlant d’un thème initial unique et se déclinant dans chaque section de l’orchestre. Pourtant coulant et tourmenté tel poème noir de Nelligan, Jean-Yves Thibaudet livra son navire à bon port calmement et méthodiquement, en plein contrôle de son art sans toutefois entrer dans l’excès de zèle d’une technique qui rendrait caduque la charge émotive de la pièce. Si ce n’est une section des cordes un peu brouillonne dans certaines mesures, on se rappellera longtemps de cette manipulation gracieuse des notes.
Le pianiste fut d’ailleurs acclamé par l’auditoire qui commanda un rappel de manière catégorique, fait rare dans ces grands concerts. Un nocturne sombre, à fleur de peau, un peu pour ponctuer le fait que le meilleur des songes n’est peut-être pas dans la technique, mais plutôt dans le ressenti. En ce sens, la parfaite maitrise du contexte sensible de l’œuvre tel qu’exprimée par Thibaudet s’enlaça au sein de chacun de nous hier soir.
Pièce de résistance du concert, la Symphonie No. 1 de Mahler est un ovni en soi. Un torrent de notes qui souligne les passages peut être les plus effrayants de l’histoire de la musique symphonique. La section des cors eut la part belle de cette symphonie particulièrement épique. Le scherzo, sous son thème direct, urgent et récurrent rappelle le ländler, une danse folklorique autrichienne, alors que le premier mouvement, celui de l’éveil, évoque surtout une nostalgie des temps lourds et gris dépeint par le spleen digne d’un poète maudit.
Le troisième mouvement fut véritablement la pièce maîtresse du concert. Dans un crescendo émotif, les strates musicales, répétitives et lancinantes ne sont pas sans rappeler l’atmosphère triste et joyeuse d’une danse des Balkans. Entrecoupés de ces vas et viens surgit un sentiment de profonde mélancolie, une marche funèbre de toute beauté, triste, mais chaleureuse, portée par les coups de grâce des violoncelles.
Au final, les pointes violentes des cordes enveloppaient leurs dissonances à travers ce thème funeste récurent qui démontrait une maîtrise stylistique et émotionnelle venue d’un autre monde. Plus que mémorable que de ce mouvement funeste et pourtant joyeux, jouant sans cesse en alternance entre la tristesse, l’euphorie et la déception. Dans son dernier quart, le son d’un tambour diaphane brisa un visqueux silence lourd de sens, se noyant dans la noirceur d’une salle silencieuse.
Quant à Berlioz, son ouverture du Corsaire se termine comme la douce épopée d’un amour déchirant ou du manque. Ce court morceau d’à peine 8 minutes s’illustre par une succession de tempête chez les cordes qui s’achèvent dans une fanfare épique rappelant l’écho du vent lors d’un abordage.
À cette occasion, l’OSM a probablement livré l’un des plus grands concerts de sa saison 2015-2016. Le public fut prompt à le souligner de par ses généreuses acclamations. Dans tous les cas, vu l’osmose communicative entre Petrenko et Thibaudet, on ne pouvait que penser qu’à une grande nuit musicale, telle une soirée mondaine de fin de siècle.
Pièces jouées:
Hector Berlioz, Ouverture Le corsaire, op.21.
Franz Liszt, Concerto pour piano No. 2 en la majeur, S.125
Gustav Mahler, Symphonie No. 1 en ré majeur, “titan”.