L’annonce le 15 mai qu’Alexandre Taillefer devenait le directeur de la campagne électorale du Parti libéral du Québec (PLQ) en a surpris plus d’un. Dans le livre Lettres à une jeune entrepreneure parut chez vlb éditeur en 2017, l’entrepreneur dévoile ses idées politiques.
Consacrant l’avant-dernier chapitre à la politique, il affirme être progressiste avant d’être indépendantiste. Il décrit le PLQ comme un club privé ou un parti conservateur depuis l’arrivée de Jean Charest, mais il reconnait le progrès libéral dans quelques décisions prises par le premier ministre Philippe Couillard dans la dernière année: annonce de l’augmentation progressive du salaire minimum, considération de l’introduction d’un revenu minimum garanti et annonce d’une troisième semaine de vacances.
Le nationalisme dit identitaire l’inquiète, puisqu’il considère que l’immigration est notre seule planche de salut au Québec, du point de vue démographique et économique. Ici, il est légitime de se demander si être en faveur de l’immigration est une véritable prise de position. En dépit de la mise en cause du manque de vision à long terme, cet enjeu s’aborde en évoquant un projet de société, des mesures d’intégrations et la laïcité de l’État. La criminalité dans la Ville-Reine de Toronto et la difficile réconciliation avec les Autochtones d’un océan à l’autre mettent en doute la validité du multiculturalisme canadien.
Il en veut au Parti québécois (PQ) pour la charte des valeurs, il qualifie les membres de Québec solidaire d’idéalistes déconnectés, puis il voit les membres de la Coalition Avenir Québec comme des libertariens. La véritable prise de position d’Alexandre Taillefer se trouve dans sa défense du libéralisme contre les libertariens. Il s’est prononcé ouvertement sur la nécessité, pour le Québec, de développer une solution de rechange aux services offerts par les géants Google, Amazon, Facebook et Apple. Ces entreprises prépareraient une «hécatombe» de nos entreprises locales et de notre culture.
Étrangement, il a écarté les deux partis indépendantistes afin d’opter pour un parti fédéraliste auquel il reproche sa dérive conservatrice. À l’inverse des électeurs du Bloc québécois qui ont participé à la vague orange pro-Nouveau Parti démocratique (NPD), plusieurs électeurs du PLQ sont tellement anti-séparatistes qu’ils se privent de choix aux élections provinciales.
Ce vote fédéraliste reconnait l’autorité du gouvernement central favorable aux libertariens qui grugent son économie libérale, dont l’entente avec Netflix.
Pas de cravate
On peut supposer que c’est grâce aux contacts de M. Taillefer à l’École nationale de l’humour que le premier ministre Philippe Couillard est monté sur scène le 10 juillet dans le cadre du Zoofest. Au lieu d’une entrevue avec l’humoriste Marie-Lyne Joncas, pourquoi ne pas organiser un échange avec un humoriste comme François Bellefeuille qui semble avoir atteint la gloire depuis qu’il a enregistré une capsule pour Netflix?
Fondateur de Téo Taxi, M. Taillefer s’oppose au capitalisme sauvage d’Uber. Au mois de mars 2017, le PLQ a reconduit le projet pilote lancé l’année précédente avec Uber, pour une durée d’un an. Le ministre des Finances, Carlos Leitao, a annoncé le 17 août qu’il va indemniser les titulaires de permis de taxi de 1000$ à 46 700$ à cause des pertes engendrées par la concurrence avec l’entreprise libertarienne.
Si le PLQ indemnise les propriétaires de gîte qui sont passés de 175 à 90 à Montréal pendant les 10 ans d’existence d’Airbnb exempté de taxes commerciales, foncières et d’assurances imposées à l’industrie touristique, d’après Radio-Canada le 8 août, ça va coûter combien aux contribuables en bout de ligne?
«Le Québec a un produit intérieur brut nominal de près de 400 milliards de dollars, et celui du Canada entier tourne autour de 1800 milliards. Cela offre un immense potentiel pour développer des solutions novatrices pour nos villes, notre province ou le pays entier», lit-on dans la conclusion du livre.
M. Taillefer se dit allergique à toute lecture sectaire du monde. À observer le néolibéralisme paver la voie aux libertariens, on y comprend que le sectarisme peut prendre forme sans même avoir recours à l’idéalisme d’indépendance ou de justice sociale. Le bref passage de Pierre Karl Péladeau à la tête du PQ, c’est assez pour saisir la phobie collective du manque de liquidité.
Si l’indignation est le moteur de l’entrepreneur, le dragon de la fameuse émission télévisée ne manquera pas de combustible sous sa nouvelle allégeance.