Quel est l’impact des initiatives de vérification des faits qui se sont multipliées ces dernières années, incluant le Détecteur de rumeurs? Comment éviter que ces efforts ne prêchent qu’aux convertis?
Le cinquième congrès mondial des médias vérificateurs de faits, Global Fact, qui avait lieu la semaine dernière, avait quelques bonnes nouvelles… et une mauvaise, gracieuseté de Facebook.
Le partenariat avec Facebook: pas clair pour l’usager
En décembre 2016, Facebook annonçait un partenariat avec cinq médias spécialisés dans le « fact-checking », dont Snopes et PolitiFact : chaque fois que l’un d’eux publierait un texte vérifiant une nouvelle préalablement marquée comme douteuse par des lecteurs, Facebook publierait ce texte conjointement au texte original, avec la mention « dispute » (contesté) ou « fact checked » (vérifié). Or, 18 mois plus tard, selon une enquête réalisée pour Facebook par la psychologue Grace Jackson, la majorité des usagers… n’ont aucune idée de ce que cette mention signifie. Ils passent distraitement par-dessus, la confondant avec une publicité ou avec ces « articles apparentés » que le réseau social nous offre d’habitude.
Ayant testé quelques configurations différentes, Grace Jackson est arrivée au congrès avec deux modifications que Facebook devrait implanter sous peu : la mention « Fact Check » sera davantage visible (surlignée sur fond vert) et deux lignes de texte résumeront plus clairement le verdict. Rappelons que ces changements sont faits sur mesure pour des sites qui, comme PolitiFact, réagissent essentiellement à des déclarations politiques.
Si cette étude avait de quoi dépiter les participants du congrès, en contrepartie, trois témoignages présentés dans d’autres séances ont donné plus d’espoir à ceux qui rêvent de pouvoir mesurer l’impact de leur travail.
Le politicien qui rejette moins les vaccins… quand il est confronté aux faits
Matteo Salvini est chef de la Ligue du Nord, un des deux partis qui, en ce moment, forment une coalition en Italie. En janvier dernier, avant les élections, il lance une nouvelle controverse: il déclare que son pays « est le seul dans le monde qui rend obligatoire l’administration de 10 vaccins aux enfants » et de surcroît, sans les avoir testés pour en évaluer les risques. Ça fait deux affirmations d’un coup pour le service Pagella Politica, de l’agence de presse italienne AGI. Les faits se révèlent faciles à vérifier, oui, ils sont testés, et non, l’Italie n’est pas le seul, plusieurs pays en ont davantage, dont la France avec 11.
Confronté à cette vérification lors d’une entrevue télévisée quelques jours plus tard, Salvini se rebiffe et accuse les journalistes d’approximations: la France a seulement approuvé un 11e vaccin, la loi n’est pas encore en vigueur, dit-il. Pagella Politica re-vérifie donc: c’est toujours faux. À nouveau confronté pendant la campagne électorale, Salvini se réajuste: les vaccins seraient « inutiles et parfois nuisibles ». Factuellement plus vague, mais néanmoins vérifiable. On attend la suite…
Le président qui se soumet à l’épreuve des faits
À une extrémité du spectre, il y a Trump pour qui tous les médias sont des « fake news ». À l’autre extrémité, il y a le président argentin Mauricio Macri, dont le cabinet a envoyé au jeune média ChequeAdo le texte du discours sur l’état de l’Union qu’il s’apprêtait à prononcer, avec la liste des sources, paragraphe par paragraphe.
Lancé discrètement il y a quelques années par trois universitaires, doté d’un nouvel élan avec l’entrée de journalistes, ChequeAdo a rapidement acquis une solide réputation et son contenu est désormais repris par certains des plus grands médias argentins.
La guerre aux vidéos truquées: moins pire que prévu
Depuis deux ans qu’on annonce le truquage de vidéos comme la prochaine ligne de front de la lutte aux fausses nouvelles, Denis Teyssou de l’Agence France-Presse (AFP) et Aliaume Leroy de la BBC, avaient de bonnes nouvelles : leur impact reste à démontrer.
C’est que la technologie se révèle pour l’instant fort capable de détecter ces fausses vidéos — celles qui, par exemple, font dire à un politicien des choses qu’il n’a jamais dites. Pour une raison très simple : le montage vidéo laisse des traces qui ne peuvent pas échapper à l’intelligence artificielle, comme un collage saccadé d’images, un mouvement des lèvres incohérent ou une désynchronisation entre les mots et les lèvres (comme dans un doublage). Les traces peuvent même se trouver dans le contenu : quantité anormale de phrases ultra-courtes, d’interjections…
Pour Christian Ress, de l’Université Erlangen-Nuremberg, en Allemagne, le phénomène des fausses vidéos (aussi appelé « deep fake ») ne doit pas être analysé comme « un nouveau paradigme » où on aurait inventé quelque chose qui n’existait pas auparavant, mais comme « une extension de Photoshop ». Ça va bien sûr s’améliorer et la vigilance est de mise. Mais pour l’instant, dit-il, ces vidéos sont essentiellement faites par « des amateurs ».
L’AFP fait partie d’un consortium européen qui a développé InVid, une application qui « détecte, authentifie et vérifie la fiabilité de fichiers vidéo et de contenu vidéo diffusé par les réseaux sociaux ». Ce qui ne devrait toutefois pas empêcher, souligne Teyssou, de rappeler à notre public les trucs de base: comme de vérifier, avant de partager une vidéo qui nous choque, quelle est la source…
En complément:
Lutte aux fausses nouvelles: quelle responsabilité pour les vérificateurs de faits?
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