La croissance fulgurante de la consommation d’opioïdes sur ordonnance inquiète les experts de la santé publique. Le Canada serait même le champion mondial de cette surconsommation d’opiacés de synthèse, sanctionnait Le Devoir récemment.
Prescription de choix pour les douleurs chroniques chez de nombreux médecins, ces petites pilules occasionnent une forte dépendance et des intoxications mortelles de plus en plus nombreuses. « Devant l’ampleur fulgurante de la dépendance aux opioïdes aux effets dramatiques, tels de nombreux décès par intoxication et surdose, on se sent mal outillé », s’alarme le docteur Jutras-Aswad, psychiatre et chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM).
1775 décès seraient attribuables à une intoxication par opioïde au Québec entre 2000 et 2012. Ces chiffres recueillis par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) montrent que c’est principalement la part des médicaments qui alourdit le bilan. De surcroît, ceux-ci se retrouvent de plus en plus sur le marché noir en raison du détournement de leur usage thérapeutique pour une utilisation récréative.
Les opioïdes soulagent de nombreuses souffrances psychiques et physiques en agissant sur des cellules du système nerveux central. Les effets agréables que ces médicaments – hydromorphone, l’oxycodone, fentanyl, etc. – procurent s’accompagnent d’une dépendance sévère. « Ces substances s’avèrent très dangereuses, susceptibles de provoquer des arrêts respiratoires et des intoxications de surdosage. Elles sont aussi hautement addictives, comme la cocaïne et la nicotine», rappelle le docteur Jutras-Aswad.
Loin de vouloir diaboliser ces substances, le chercheur, qui participe à l’étude OPTIMA sur le traitement de la dépendance aux opioïdes d’ordonnance mise en place par l’initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS), insiste sur l’importance de « bien prescrire, pour la bonne personne et la bonne durée ».
Apprendre des junkies
Lors de cette étude pancanadienne, deux traitements issus de thérapies adaptées à la toxicomanie récréative seront testés auprès de 240 patients de différentes provinces, d’un océan à l’autre. Les chercheurs ont beaucoup à apprendre sur le traitement des addictions telles que l’héroïne, même si les consommateurs de médicaments auraient des profils de consommation différents.
Une frange de la population se montre plus vulnérable aux diverses substances, ce qui ajoute à la complexité du traitement. « Même un grand consommateur, plus habitué à en prendre, peut être à risque d’une surdose ou d’une réaction inattendue à une autre molécule. Les consommateurs d’héroïne, plus désorganisés, nécessitent pourtant un traitement moins flexible », relève le chercheur.
Seul un traitement adapté parviendra à éloigner les consommateurs de médicaments des risques liés à la dépendance, d’autant plus que le sevrage aux opioïdes reste ardu (hausse de l’anxiété, dérangements intestinaux sévères, etc.). « Les symptômes d’une grippe liés à un inconfort psychique intenable », résume le docteur Jutras-Aswad.
Enfin, une sensibilisation en amont pour prévenir les prescriptions inutiles est évidemment nécessaire. Le chercheur pense qu’il importe de bien former les médecins et les pharmaciens aux risques de dépendance liés aux opioïdes, tout en augmentant la surveillance et le suivi des prescriptions. « L’informatisation aidera beaucoup à suivre ce que l’on prescrit, mais les changements en première ligne et le temps limité que les médecins passent avec leurs patients risquent de compliquer cette vigilance », souligne-t-il.