Sans ménager l’onde subversive, l’exposition Ici Londres présente la capitale de la culture insulaire britannique en de multiples îlots au Musée de la civilisation à Québec du 17 mai 2018 au 10 mars 2019. La voix invitante de Geneviève Borne, qui s’y rend chaque année depuis 1995, fait office de guide.
Sous le drapeau fleurdelisé bleu et blanc, la cathédrale anglicane Holy Trinity rappelle que la ville de Québec était le pied-à-terre des Britanniques après que les treize colonies ont tourné le dos au Royaume-Uni. Ses cloches proviennent de la même fonderie que le Big Ben qui résonne du haut de la Elizabeth Tower. À la sortie, un autobus à deux étages nous attendait au coin de la rue avec l’hôte de l’événement. Vêtue d’une veste de cuir percée de clous, drapée d’une longue jupe tartan et arborant une teinture rose délavé qui ne dissimule pas une repousse foncée, Geneviève Borne a cassé son look punk de bijoux clinquants, d’un diadème et un fil brillant tissé à travers les carreaux s’agençait avec finesse.
Nous voilà embarqués dans un tour de ville pour nous montrer les influences britanniques dans la Vieille Capitale, dont les portes cochères qui permettaient aux habitants de stationner leurs chevaux derrière leurs maisons au 19e siècle, l’émergence du style château, telles la gare de train et une série de constructions dont la citadelle. Lorsqu’on nous montre l’endroit où il y avait des pendaisons publiques, le rouge de l’autobus s’avive, prenant conscience qu’il n’y a pas qu’un océan qui nous sépare de Londres. Puis le circuit se termine devant la pointe du Musée de la civilisation, décorée en clocher jaune et noir pour l’occasion.
«Dans le métro, vous entendrez continuellement l’expression «mind the gap». C’est qu’il y a un espace (parfois jusqu’à un pied!) entre le quai et les wagons. Prenez garde de marcher dans le vide!», met en garde Geneviève Borne dans le guide débordant 300 raisons d’aimer Londres paru aux Éditions de l’Homme en 2017.
À l’entrée de la salle d’exposition, les visiteurs se heurtent contre un grand tableau semblable à une abstraction du peintre Vassily Kandinsky moins le bleu, le rouge et le jaune de la palette du Bauhaus. Une immense photographie d’un accident de la route nous saisit à notre droite, et derrière nous on aperçoit un black cab sur fond de peinture de bloc à logements superposant le cadre du sujet et le cadre du canevas. Au centre de cette scène de choc, une réplique du fameux autobus nous invite à changer d’échelle. La salle est recouverte d’un tapis dont les motifs se trouvent à être une carte de Londres dupliquée par de véritables cartes collées sur les bancs.
Au-delà de la topographie, le temps fut un objet dans la culture britannique puisque le méridien Greenwich d’origine matérialisé au sol du Royal Observatory à Londres rappelle que l’heure internationale y est ajustée depuis 1884. D’un côté et de l’autre de l’événement, l’écrivain Lewis Caroll avec Alice’s Adventures in Wonderland (1865) et le cinéaste Terry Gilliam avec Twelve Monkeys (1995) ont créé des univers en jouant avec la notion de temps.
Sans avoir recours à la brunante continue des casinos, l’éclairage à l’intérieur de la salle d’exposition n’évoque ni le jour ni la nuit. Le visiteur est plongé dans l’obscurité, mais la clarté diurne émane des grandes photographies aériennes de la ville. L’aire est bordée par des chronologies politiques et une maquette de la City y est surélevée.
«Au XVIIe siècle, c’est au Anchor Bankside que William Shakespear venait boire une bière avec ses collègues comédiens…», raconte Geneviève Borne dans le guide. Le théâtre manque à l’exposition. La scène aurait-elle chevauché l’espace muséal, ou l’aura des icônes?
Thatcher dans la mire
Ici Londres insiste sur la proximité entre les Québécois et les Londoniens, c’est-à-dire l’éclosion d’une rébellion culturelle au sein de l’Empire britannique. Il y a un parallèle entre les courants artistiques qui ont donné naissance à la minijupe de la designer Mary Quant et immortalisé l’icône de David Bowie sous la lentille des photographes de mode Terry O’Neil et Brian Duffy, et l’effervescence de la Révolution tranquille.
L’image translucide de la gigantesque centrale électrique au charbon Battersea Power Station est un clin d’œil éblouissant à Pink Floyd.
«Vivienne Westwood s’est inspirée de l’esthétique punk et tranquillement a développé une production plus de haute couture, mais c’est un mouvement qu’on remarque beaucoup dans la mode à Londres qui s’inspire énormément de la rue. Le mouvement s’effectue, je dirais émerge des courants sociaux en transformation. Le mouvement punk étant un bon exemple, c’est une période difficile économiquement parlant, période de crise, de récession. Ça se transforme dans le sens où ça passe dans le mainstream, on part de la marge et tranquillement on l’intègre au fil du temps…», a expliqué la chargée de projet du Musée de la civilisation, Caroline Lantagne.
Les œuvres de design, d’art visuel et de mode exposés sous des cloches de verre à la forme de bloc semblent inspirées du Wonderpass à la station de métro Baker Street. Que ce soit par l’aménagement d’espaces sous-terrain tel le 100 Club, le Mail Rail ou l’ancienne Strand Station abandonnée ou par la consistance d’initiatives éphémères tel l’Apple Boutique, la Neal’s Yard ou le mur mitoyen abattu du musée Handel & Hendrix in London, la subversion imbriquée de la capitale anglaise est partie prenante de cette galerie muséale.
«La mode punk qui a été créée par Vivienne Westwood, c’était tout arrangé dans le fond parce qu’elle fréquentait Malcom McLaren qui était le gérant des Sex Pistols. Il a fabriqué ce groupe-là, elle a créé leur look. Rébellion, oui, mais très «packagé». Il y a une mise en scène, quand même», m’a expliqué Geneviève Borne.
En somme, l’installation Ici Londres au Musée de la civilisation est réussie. Par contre, il manque les collages politisés, le logo démultiplié, bref le «Punk Is Dead» du groupe musical Crass.
Il ne suffit qu’un pochoir et une «canne de peinture en spray» pour y remédier.