La conversion du quotidien La Presse en structure sans but lucratif et la présidence de la campagne du Parti libéral du Québec de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer qui possède la revue L’actualité et le magazine Voir.ca se trouvent au centre de l’enjeu soulevé par l’ouvrage collectif français Les médias sont-ils dangereux ? Comprendre les mécanismes de l’information publié par le 1 hebdo en 2017, sous la direction du journaliste Éric Fottorino.
D’emblée, le journaliste Éric Fottorino cible la presse occidentale par son financement écrivant que dans nos démocraties, la presse libre et indépendante ne l’est qu’à concurrence de sa rentabilité. Il raconte, en tant que président du groupe médiatique Le Monde, son rendez-vous avec le chef de l’État français de l’époque, Nicolas Sarkozy qui cherchait à affaiblir le média par sa vente à un ami industriel. Pour l’historien Patrick Evo, les oligarques français ont investi dans la presse parce que c’est un moyen efficace de s’acheter de la notoriété et de l’influence, bon pour les affaires et les rapports avec les politiques. Alors que la journaliste Aude Lancelin se remémore l’ironie du fondateur du quotidien Le Monde, Hubert Beuve-Méry qui énonçait en 1956: «Comment expliquer que tant de gens aient tant d’argent à perdre? ».
Devant l’arrivée d’actionnaires totalement extérieurs au secteur, l’économiste Julia Cagé insiste sur la nécessité de reconstruire un actionnariat des médias pluriel et indépendant. Alors que pour l’écrivain Patrick Besson, le travail journalistique de gauche comme de droite consiste à mettre au jour les abus financiers de la classe politique. Qu’ils soient mal payés dans la presse écrite, bien payés à la radio ou inondés de pognon à la télé, les journalistes ne pouvant discuter des idées, ils inspectent les comptes bancaires. Puis le sociologue Jean-Marie Charon dresse un profil statistique de la profession, dont la diminution de 5,52% du nombre de journalistes depuis 2009 à cause de la multiplication des médias numériques ou des nouveaux supports de médias traditionnels.
Les réseaux sociaux transmettent de l’information sans aucun filtre, sans médiation. Ils sont efficaces dans un cercle restreint pour une raison déterminante : les abonnés leur font confiance alors qu’ils se méfient des médias, ce qui est contraire à la communication, soutient l’historien Christian Delporte. Dans la même veine, le journaliste Éric Scherer pointe l’algorithme qui filtre et choisit l’information que vous lirez, et non plus le rédacteur en chef, le directeur de la publication ou le marchand de journaux. Pour lui, l’information ne peut plus jouer comme avant un rôle de ciment et de cohésion de la société puisqu’on en est réduit à avancer des hypothèses sur les goûts, les historiques, les achats.
Il existe encore des professionnels entêtés qui partent du principe que toutes les informations ne se valent pas, affirme le journaliste Robert Solé.
Réseaux asociaux
La forme même des mobilisations récentes par les réseaux sociaux n’est pas aussi originale qu’on pourrait le penser. Ne soyons pas aveuglés non plus par l’effet des nouvelles technologies sur leur rapidité, relativise l’historien Christian Delporte pour qui ce n’est pas l’outil qui compte, mais le degré de sensibilisation et d’adhésion de la population. Dans le même esprit, le philosophe Bernard Stiegler explique sa participation à la conception d’architectures de réseaux vraiment sociaux pour l’armée américaine dans les années 1980-1990.
«Les réseaux sociaux d’aujourd’hui sont inspirés des graphes de Moreno, un psychiatre des années 1930 qui avait une vision très pauvre du social. Dans une relation sociale, il y a toujours un tiers qui est la société elle-même. Dans le cas de Facebook, ce tiers est remplacé par Facebook, qui s’en cache et qui nous manipule avec ses automates, les serviteurs du réseau», affirme le philosophe.
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