À la croisée de la science et de l’art, Sticky Feelings de l’artiste Alanna Lynch expose des expériences faites avec des matières biologiques à La Centrale Galerie Powerhouse, du 27 avril au 25 mai.
À ma grande surprise, la serveuse d’un café hippie du centre-ville m’a tendu une bouteille étiquetée avec logo lorsque j’ai commandé un kombucha. Une dizaine d’années auparavant, c’est à ce comptoir que j’ai bu ce breuvage fermenté pour la première fois. La serveuse avait sorti du réfrigérateur un grand contenant pesant de verre épais et foncé pour verser le nectar dans une petite coupe. Avec le temps, la commercialisation de cet élixir artisanal en plusieurs saveurs témoigne de l’appropriation de cette boisson avec levure dans nos habitudes de consommation et de l’acceptation sociale de cette forme de vie dans nos organismes.
Si le kombucha fabriqué par Alanna Lynch est propre à la consommation même si sa couleur brunâtre n’est pas ragoûtante, cette artiste expérimente une autre fonction des bactéries qui forment une couche à la surface. Ce qu’on appelle «la mère» est une sorte de champignon, des levures qui se nourrissent du sucrose ajouté au thé pour le transformer en glucose et en fructose. Produit en grande quantité, il est possible de retirer la pellicule formée à la surface et de la faire sécher tout en observant les variations de couleurs et de motifs. «Parfois, je vois des traces d’autres types de bactéries, qui forment des ramifications par exemple», me confie l’artiste illuminée par ces apparitions fortuites.
Des gants faits avec ce tissu organique sont accrochés dans la galerie sur une corde à linge en guise de séchoir. «Je fais des gants parce que c’est par la main que l’on a un contact avec le restant du monde», m’a-t-elle répondu en lui demandant si elle avait conçu d’autres morceaux de vêtement. Alanna Lynch met à la disposition des visiteurs une gamme de pastilles de tissu organique séché issue du kombucha afin d’expérimenter du bout des doigts les différences de texture pouvant évoquer le cuir. Elle m’informe au passage que cette matière est à l’étude pour remplacer les tissus existants.
À l’expérience tactile, vient se greffer une dimension conceptuelle du toucher d’une œuvre à l’autre. Notre enveloppe corporelle est-elle si perméable?
Subjectivité
Une cruche de verre transparent munie d’un bec versoir contient une substance gélatineuse brunâtre provenant de graines de lin, que les végétariens utilisent en tant que substitut aux œufs dans leurs recettes, mentionne-t-elle.
Alanna Lynch explique que la spécificité de cette matière consiste dans sa viscosité qui n’est pas uniforme, de sorte qu’elle contient une activité aléatoire. «Une mère m’a dit que son enfant trouvait que ça ressemblait à de la morve», me lance l’artiste soutenant qu’elle capte toutes les impressions des visiteurs. Bref, l’exposition de cette recherche en cours fait la lumière sur les substances gluantes qui nous entourent.
L’œuvre Show of Strength, 2015 est un récipient en verre contenant un liquide jaune suspendu par une corde. Cette critique de la vision essentialiste de l’extrême droite au sujet de l’eugénisme et de la race aryenne prend tout son sens lorsqu’on sait que cette corde fait de cheveux blonds amassés dans les salons de coiffure de Suède filés dans un métier à tisser soutient l’urine de l’artiste.
Alanna Lynch a participé au Art Laboratory Berlin qui s’est tenu du mois de juin au mois de décembre 2017. La relation entre l’humain et les zones humides, l’exploration du potentiel des moisissures, des mousses et des lichens dans la forêt, l’interconnexion entre l’humain et la biosphère dans l’ère hyper technologique, ainsi que la performance des colonies symbiotiques de bactéries et de levures présentées à Montréal ont été abordées à ce rendez-vous artistique.
À visiter, vous ne verrez jamais plus votre kombucha du même œil.
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