Au moment où le Canada s’apprête à légaliser la marijuana, le documentaire Cannabis en Uruguay (2015) de Federika Odriozola explique le processus de réglementation de la fameuse plante de A à Z dans ce petit pays du Rio de la Plata, projeté dans le cadre du 9e Festival du cinéma latino-américain de Montréal 2018 au Cinéma du Parc.
À l’aide de séquences filmiques d’archives en noir et blanc, la documentariste commence sa chronologie au 19e siècle. À l’époque, cette région du globe accueillait les migrants, les paradis artificiels et les premiers pas de Tango. Au début du siècle suivant, le gouvernement américain sous l’influence de groupes religieux a attribué un statut illicite à l’alcool, au cannabis, à la cocaïne et à toutes autres drogues. Les dictateurs d’Amérique du Sud ont emboité le pas. La doctrine de Monroe (1823) de l’Amérique aux Américains avait son pendant moral, une série de lois antidrogue fournissant un prétexte aux régimes totalitaires pour assurer leur contrôle sur la population, en emprisonnant les consommateurs.
Le vent a tourné dans les années 1980, la fin des totalitarismes a fait place à un climat de contre-culture où la marijuana a refait surface comme moyen de s’évader. Ainsi, la lutte pour la légalisation du cannabis ne consiste pas à décriminaliser la culture, la possession et la consommation d’une substance illégale pour des raisons de santé. Il s’agit plutôt de neutraliser le prétexte à des abus de pouvoir du gouvernement envers les citoyens, de même que des États-Unis envers l’Uruguay. N’empêche que l’argument des activistes prolégalisation a frappé un mur dans les années 1990, quand la consommation de cocaïne purifiée et fumée a conduit les toxicomanes à commettre des actes criminels violents. Comme pour le cannabis, le marché noir a modifié la composition des drogues pour maximiser l’effet rendant le consommateur plus dépendant.
Au début du 21e siècle, le ralliement de la jeune génération aux activistes et l’élection le 29 novembre 2009 de l’ex-guérillero des Tupamaros, José Mujica énonçant des discours-fleuve sur la convivialité ont été la consécration de ce mouvement. La perspective historique de la prohibition liée au totalitarisme, de l’idée d’évasion associée à la contre-culture et du réajustement de la revendication passant de la légalisation à la réglementation a permis de constituer un projet de loi qui a été adopté le 10 décembre 2013.
Federika Odriozola démontre la mise en forme de ce projet à même la société uruguayenne.
Morale de gringo
Si la prohibition des drogues a permis de justifier l’oppression du pouvoir, l’interdiction a créé le mythe du «mauvais cowboy» qui s’est avéré bien réel avec Al Capone à Chicago, Pablo Escobar en Colombie et Chapo Guzmán au Mexique. Souvent, le discours officiel et sa version obscure servent à occulter les enjeux réels, ainsi que le contre-pouvoir de la gauche. L’accusation à l’égard des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) de participer au narcotrafic a servi à occulter l’assassinat du candidat à la présidentielle de 1950, Jorge Eliécer Gaitán et l’enjeu de la réforme agraire. De plus, le cinéma américain entretient ce mythe de la trilogie The Godfather (1972-1975-1990) de Francis Ford Coppola à The Wolf of Wall Street (2013) de Martin Scorsese, en passant par Scarface (1983) de Brian De Palma.
Au lieu de chercher des réponses au fin fond du cône sud du continent, il ne suffit que de visionner le film The Untouchables (1987) réalisé par Brian De Palma pour saisir la nature de la légalisation canadienne. Lorsque l’enquêteur Eliot Ness et ses acolytes interceptent une livraison de whisky canadien à la frontière, ils arrêtent le comptable d’Al Capone, mais plus important encore : ils mettent la main sur son livre de comptes. À noter, le chef de la pègre de Chicago a été envoyé en prison pour fraude fiscale.
Au Canada, l’ambiguïté entre moralité et illégalité ne relève pas de la consommation de stupéfiants. Cette zone grise concerne davantage l’évasion fiscale, soit légale, mais immorale, qui s’est développée pendant la période couverte par le documentaire, tel que démontré par le philosophe Alain Deneault dans son ouvrage Paradis fiscaux : la filière canadienne parut en 2014. Cette ascendance de l’économie sur le politique ne sera jamais remise en question par les partis politiques fédéraux, tel que démontré dans le documentaire Les États-Désunis du Canada (2012) de Guylaine Maroist. En somme, le premier ministre Justin Trudeau n’a pas pris la décision de légaliser la marijuana par conviction morale ou despotique, mais pour des raisons économiques.
Le documentaire Cannabis en Uruguay (2015) donne la parole à un activiste qui simplifie la revendication du mouvement en affirmant que la marijuana doit avoir un statut similaire à celui du tabac. Il s’agit de la seule comparaison valable que l’on puisse faire avec la légalisation canadienne, c’est-à-dire la question des infrastructures comparant la marijuana à l’alcool, qui relève des provinces.
À propos de la légalisation dans l’État du Colorado en 2014, le mythe autoproclamé du journaliste Hunter S. Thompson a-t-il quelque chose à voir avec cette décision ?
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/04/05/main-basse-sur-la-metropole/