Yoann Bourgeois, metteur en scène français influencé par le cirque autant que par la danse est invité pour la première fois dans l’antre circassien montréalais. Bien loin de ce qui est habituellement présenté à la Tohu, Celui qui tombe est un spectacle pour le moins… contemporain.
Depuis ses débuts Bourgeois n’a eu de cesse de construire des systèmes sophistiqués pour produire des déséquilibres physiques qui obligent les artistes (l’humain…) à chercher des moyens de retrouver une forme d’état stable. Celui qui tombe ne fait pas exception.
Pour cette œuvre le créateur français a conçu une plateforme carrée en bois de 6m x 6m, alternativement suspendue en l’air par des câbles et pilotée au sol par un bras mécanique capable de la faire tourner sur elle même. Les deux systèmes actionnent la plateforme pour la mettre en mouvement comme un mobile et malmènent les six interprètes qui y ont été posés presque à la manière de figurines sur un plateau de jeux de société. Attraction de fête foraine, disque vinyle, centrifugeuse sont autant d’évocations qui se dégagent de ce dispositif.
Labellisé cirque, car inclassable, le travail de Yoann Bourgeois s’est départi de toute discipline circassienne et de toute prouesse physique. Il faut se détacher de l’image d’un cirque explosif, gai, et naïf. Ce cirque-là n’est manifestement pas ici pour réchauffer les cœurs et distraire la galerie.
C’est un cirque analytique, contemplatif, minimaliste. Plutôt froid et distant. Anthropologique. Ce cirque qui s’est développé en France à l’instar d’Aurélien Bory – dont Celui qui tombe n’est pas sans rappeler le spectacle Sans objet, qui plaçait sur scène un impressionnant mécanisme articulé – propose une image du monde. En tout point métaphorique, celle que de Celui qui tombe est une image bien sombre. Sur ce plateau carré comme un petit monde se déploie la vie. On y voit une dissection acerbe des relations humaines, on y lit la solitude, l’abandon, le chacun pour soi. Déposés là, les danseurs tels des marionnettes hagardes sont des cobayes à qui la machine fait subir ses caprices pour nous offrir d’en observer les réactions qu’elle a provoquées. Les équilibres précaires qui se forment et se défont sous nos yeux. Un micromonde en observation donc. Une dissection sociale. Cruelle. Qui n’est pas sans évoquer les expériences de téléréalité.
Heureusement, quelques moments de suspension nous sont offerts par intervalles, ceux où finalement réunis ces hommes et femmes cessent de subir et jouent enfin, s’amusent ensemble, avec légèreté. Une lueur d’espoir. On touche alors à l’absurdité propre aux jeux du cirque et caractéristique de l’insouciance des jeux de l’enfance. Bourgeois sait faire parler les images simplement, sans s’embarrasser de narration superflue. Très sobre pour ne pas dire légèrement austère, l’image est belle comme toujours chez le Français. Le spectacle n’est pourtant pas dépourvu de certaines grandes longueurs, dont on comprend le propos, mais qu’on aurait peut-être préféré que Bourgeois nous épargne. On lui reprochera aussi une certaine absence d’émotion.
Des années-lumière séparent Celui qui tombe des créations plus populaires des 7 doigts de la main ou du Cirque Éloize. Certes, on ne vous cachera pas que ce spectacle demande de faire preuve d’une certaine dose de curiosité envers les arts du cirque et d’intérêt pour l’humain. Et on ne vous conseille pas d’y amener vos enfants, qui risquent de ne rien comprendre et de mourir d’ennui. Mais l’hétérogénéité des formes circassiennes fait bel et bien la richesse actuelle de cet art, hybride, expérimental, en mouvement permanent. À chacun ensuite de jauger où se situe sa sensibilité.
Celui qui tombe
À la Tohu
Du 14 au 17 mars 2018
En complément:
Un commentaire
Un enfant, tout à l’heure, ému, m’a dit en sortant du spectacle :
« Ils sont beaux, ils sont fragiles…ils sont beaux parce qu’ils sont fragiles »
-L’enfant lui avait tout compris-