Le monde de l’édition a parfois des allures de Wild West: éditeurs et auteurs se disputent des parts d’un marché où l’attention (et les moyens) des lecteurs est limitée. Cela donne parfois de surprenants résultats. Cela donne aussi parfois quelque chose comme Futura, qui donne des envies d’autodafé.
Paris, 2040. Dans sa longue nouvelle – novella, en anglais, un genre littéraire peu ou pas exploité dans la littérature francophone -, Jordan Phillips décrit ce qui est probablement le pire genre de société futuriste. Pas une dystopie où des envahisseurs extraterrestres ont réduit l’humanité en esclavage, pas une utopie où l’espèce humaine a essaimé à travers les étoiles ou développé des superpouvoirs; Futura évoque plutôt une société où tous les enjeux potentiellement intéressants, d’un point de vue narratif, sont gommés et recouverts d’une couche de peinture si beige que cela suscite autant d’enthousiasme qu’un cubicule dans une entreprise de télémarketing.
Paris, 2040, donc. Ruby est une jeune femme travaillant dans l’industrie de la mode au sein d’une société où bien des corps de métiers sont maintenant l’apanage d’intelligences artificielles. Après tout, la civilisation humaine a bien changé depuis le début du 21e siècle: apparition de formes de vie artificielles, revenu universel garanti, assouplissement des moeurs morales et éthiques, la société est plus libre que jamais. Mais est-ce bien le cas? Mme Phillips prend bien soin de nous indiquer qu’avec la disparition du travail répétitif et éreintant, l’humanité a aussi abandonné la religion, et donc – dixit l’auteure – le terrorisme, et par extension les guerres. De là à imaginer un monde dénué de toute tension politique et sociale, il n’y a qu’un pas que Mme Phillips semble bien pressée de franchir.
De fait, l’ensemble de la société décrite par Mme Phillips semble consacré à l’hédonisme, à la recherche de l’accomplissement de soi. On y décrit des personnages voulant travailler comme « guérisseurs d’aura », des boissons alcoolisées grisantes, mais qui ne donnent pas la gueule de bois, ou encore des enfants dont le code génétique est modifié à l’avance par les futurs parents pour éliminer les maladies et – pourquoi pas! – améliorer leur apparence générale.
On aurait pu croire que Mme Phillips se serait penchée sur l’envers de cette société trop calme, trop lisse, trop parfaite. Cette cohabitation avec des intelligences artificielles soulève des questionnements éthiques, philosophiques ou encore existentiels, après tout. Ou qu’en est-il des enjeux sociaux liés à la modification génétique, une pratique qui évoque la discrimination du film Gattaca? Il aurait également été possible d’aborder la question d’une humanité si concentrée sur son plaisir que le désir de découverte et d’exploration s’amenuise peu à peu, condamnant l’humanité à s’effriter et disparaître.
Que nenni! Le seul véritable enjeu abordé par Mme Phillips dans Futura est l’importance, pour Ruby, notre personnage principal, est celui de la procréation. Ironiquement, alors que l’univers qu’elle décrit est celui d’un futur franchement différent de ce que nous connaissons, l’auteure réussit plutôt à nous ramener en 1950, où les femmes n’étaient bonnes qu’à donner naissance à des enfants. Et qu’advient-il de Ruby, une fois qu’elle a rencontré un bel Américain nommé Ford (subtilité, quand tu nous tiens…), et qu’elle a couché avec lui le premier soir? Elle tombe immédiatement enceinte et largue le susmentionné individu. Après tout, une fois fécondée, elle n’a plus besoin de personne, n’est-ce pas?
Il est absurde de constater qu’une telle idée scénaristique, lancée comme ça dans les airs, sans aucun autre appui, puisse vivre jusqu’à se retrouver imprimée sur du papier.
À fuir comme la peste. En fait, un roman de science-fiction où une épidémie de peste se répand parmi la population serait fort probablement plus intéressant que Futura.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/03/08/avant-je-criais-fort-et-maintenant-il-ecrit-un-livre/