La Rome antique n’a jamais été tendre, et ses luttes de pouvoir, doublées de relations amoureuses bien souvent sulfureuses, ont fréquemment donné lieu à de sanglantes trahisons qui ont éclaboussé de vermeil le pourpre du pouvoir impérial. Titus, adapté de la pièce de Shakespeare, donne vie à ces conflits fratricides s’étant trop souvent réglés avec un couteau bien aiguisé.
Jouée sur les planches du Théâtre Prospero, Titus, mise en scène et adaptée par Édith Patenaude, tente de réussir deux exploits: d’abord, de réduire à sa portion congrue le texte de l’oeuvre monumentale du Barde, histoire de condenser le tout en deux heures, environ. Et ensuite, de transformer cette pièce majoritairement masculine en inversant les rôles. Des comédiennes jouent ainsi des hommes, et des comédiens, des femmes.
Si la réduction de la durée de l’oeuvre ne semble pas avoir posé problème, c’est du côté de son adaptation, de sa transformation qu’apparaissent à la fois les forces et les faiblesses de l’oeuvre. Dans cette course vers le pouvoir, où Titus Andronicus, vétéran adulé des guerres romaines contre les Goths – où il a sacrifié une vingtaine de ses fils -, se retrouve dans une position impossible, à devoir choisir entre deux frères l’identité du prochain empereur de Rome, déclenchant sans le vouloir une série de trahisons et d’assassinats témoignant du délitement du tissu social et politique romain, faire jouer une grande majorité de femmes commence par quelque peu déstabiliser le public.
Après tout, les clichés ont la vie dure, et il est encore rare, de nos jours, de trouver des exemples de femmes occupant des postes majeurs au sein des gouvernements de la planète… la chancelière allemande Angela Merkel mise à part, sans doute. Idem pour les rôles au petit comme au grand écran, même si la tendance s’inverse depuis quelques années.
Et encore, il ne s’agit pas là d’avoir des rôles féminins forts; certes, il y a bien Tamora, cette reine Goth (un peuple germanique) ramenée de la guerre qui deviendra l’impératrice, et qui ourdira une sombre machination pour se venger, mais le rôle est occupé par un homme. « Une fille au masculin », chantait Indochine; ici, les femmes sont devenues des hommes assoiffés de pouvoir et de sang. Et le choc sociétal est d’autant plus grand qu’il nous renvoie à notre conception de ce qu’est un homme d’État.
Pousser l’audace au maximum
Vêtus de vêtements civils, bien loin des toges de la Rome antique ou des uniformes évoquant les nazis, les personnages évoluent dans un décor imaginaire, ponctué uniquement de relâchements de fumées évoquant le mysticisme, mais aussi le brouillard de guerre.
Forts en gueule, expressifs, nos Romains et nos Goths s’approprient rapidement l’espace.
Mais une chose cloche: le ton donné à la pièce part dans tous les sens. Qu’on choisisse de réciter le texte avec une verve tout à fait traditionnelle, ou que l’on décide plutôt de « moderniser » le texte en adoptant un style plus familier, soit. Impossible, toutefois, de conserver sa crédibilité dramatique lorsqu’en plein drame, entre deux assassinats ou sous le coup d’une trahison qui transperce soudainement le coeur, le personnage affligé s’éloigne du texte original et lâche un « tabarnak » bien senti, faisant pouffer de rire certains spectateurs.
De grand drame historique, on tombe alors pratiquement dans le vaudeville. Ces allers et retours entre la forme « noble » et un théâtre plus « populaire » gâchent franchement le plaisir. C’est bien dommage, d’ailleurs, puisqu’à l’exception de ces accrocs trop fréquents, cette adaptation de Shakespeare est franchement solide.
Titus, de William Shakespeare; traduit par André Markowicz, mise en scène et adapté par Edith Patenaude. Au Théâtre Prospero jusqu’au 24 février.
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