Les changements climatiques font reculer les forêts de résineux vers le nord, tandis que les feuillus avancent. Ces derniers agissent aussi comme perturbateurs: ils augmentent le nombre et l’intensité des incendies en été. De telles perturbations issues du réchauffement climatique sont susceptibles d’influencer la mémoire des écosystèmes forestiers, et restent pour l’instant mal comprises.
C’est ce que pense Christoforos Pappas, stagiaire postdoctoral au département de géographie de l’Université de Montréal et co-auteur d’une récente étude. « La forêt est un écosystème qui a besoin de temps pour se remettre des variations climatiques. Il n’y a pas de hasard, plutôt une mémoire écologique liée aux variations hydrométéorologiques (humidité, soleil, pluie, neige, etc.) qu’il nous faut comprendre pour mieux appréhender les variations climatiques », avance le chercheur.
Cette mémoire des évènements passés, comme une sécheresse, affecterait la résilience des forêts – autrement dit, leur capacité à se remettre des changements persistants. Ce qui diminuerait leur capacité à absorber le carbone, une des solutions vertes dans la lutte aux changements climatiques.
Dans la récente étude, publiée dans Nature Ecology & Evolution, l’équipe a étudié 23 sites de forêts tempérées en France, Allemagne, Finlande, Italie, Belgique et Danemark dont le couvert végétal varie: mixte, à feuilles caduques ou à feuilles persistantes. Ils ont noté les changements des écosystèmes au quotidien et sur de longues périodes de temps (mois/année/décennie) en fonction des variations hydrométéorologiques. L’étude ne parle pas des forêts canadiennes, faute de données à long terme disponibles.
L’équipe confirme que le manque de pluie ou les faibles températures ralentissent la croissance du couvert forestier, au contraire d’une forte chaleur et d’une grande humidité. Elle appuie sa démonstration sur l’idée d’une « enveloppe bleue », un concept sur les limites de l’adaptabilité d’une forêt. En enregistrant les différentes données des différents sites, les chercheurs ont dessiné les frontières au sein desquelles l’environnement forestier se développe de manière optimale.
« Nous avons relevé les réactions différentes des écosystèmes (feedback) suivant les variations de chaleur et d’humidité pour nous rendre compte de la présence plus large d’une “enveloppe ” hydrométéorologique favorable à leur bon fonctionnement », relève le chercheur.
S’il constate que les écosystèmes démontrent une persistance à long terme, une mémoire écologique et un lent rétablissement après de grandes perturbations, le fonctionnement, selon les modèles mathématiques, s’opère de manière optimale dans les limites de cette « enveloppe bleue ».
Le baromètre des forêts
Cette enveloppe détermine les frontières du continuum évolutif des écosystèmes. C’est d’autant plus important de comprendre ces frontières, que les variations induites par les changements climatiques peuvent avoir un impact sur le développement à long terme d’une forêt.
Et sur son pouvoir de captation du CO2. « Comment les forêts peuvent-elles aider à atténuer les activités humaines? Nous avons besoin de mieux comprendre la dynamique de ces écosystèmes pour répondre à cette question », soutient Christoforos Pappas.
L’étude réjouit Martin Girardin, chercheur scientifique, modélisation et productivité forestière à Ressources naturelles Canada, car elle souligne l’émergence d’une jeune relève en modélisation: « C’est un travail complexe et théorique qui démontre mathématiquement des choses que l’on connaît, en ajoutant une dimension de continuum, de temps. C’est un peu comme le cours de la Bourse: sur une courte échelle, les fluctuations sont plus nombreuses qu’à long terme, où l’on note une tendance constante. »
Ainsi, une sécheresse d’une semaine modifie l’échange gazeux de la canopée, mais lorsqu’on regarde les données prises sur une décennie, on ne le remarquera guère. « C’est quelque chose que l’on sait : les modèles captent les moyennes et pas les extrêmes, d’où la difficulté de capter, au jour le jour, la réalité », relève le chercheur.
Martin Girardin regrette toutefois le format court de la publication de Nature qui n’offre pas aux auteurs la possibilité de livrer des explications sur ce que cela implique pour les changements climatiques. « Les auteurs annoncent que cela peut amener des biais dans les projections climatiques sans vraiment dire lesquels », note le scientifique.
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