On a cru, un instant, que les calculs et le travail de quantité d’ingénieurs, de mécaniciens, de mathématiciens et de nombreux autres employés de l’entreprise SpaceX n’allaient pas fonctionner, et que la gigantesque fusée Falcon Heavy, lancée avec succès mardi, allait exploser au décollage, ou n’accomplirait pas sa mission. Et pourtant, cette fois encore, l’optimisme fou d’Elon Musk a fonctionné.
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Le pari était plus qu’audacieux: alors que la compagnie privée SpaceX, pilotée par l’entrepreneur milliardaire Elon Musk – également à la tête du fabricant automobile Tesla, entre autres -, venait de conclure une excellente année 2017, après une explosion sur un pas de tir, en septembre 2016, et un douloureux processus de révision pendant plusieurs mois pour améliorer la sécurité de ses lancements, voilà que SpaceX tentait de faire décoller non pas une, mais l’équivalent de trois de ses fusées Falcon 9 en même temps pour tester la version « lourde » du lanceur spatial.
Cette version beaucoup plus costaude de la fusée habituelle de SpaceX est pourtant dans les plans depuis des années. Mais qui dit engin plus puissant et à la portée et à la capacité de transport plus importantes dit aussi multiplication des risques. Elon Musk a donc dû accomplir ce qu’il a déjà fait plusieurs fois par le passé, et repousser de quelques années l’un des objectifs un peu fous qu’il semble prendre plaisir à établir à échéance un peu trop rapprochée. Idéal pour susciter l’enthousiasme, mais quelque peu douteux sur le plan commercial.
Qu’à cela ne tienne, et malgré une brève suspension de trois jours des activités gouvernementales ayant menacé de retarder encore les préparatifs en vue du lancement, l’imposante fusée Falcon Heavy a bel et bien décollé mardi du pas de tir historique des fusées Saturn V du programme Apollo.
Esbroufe et marketing
Tir d’essai, certes, mais tir réussi, avec, sorte de cerise spatiale sur le gâteau, le retour coordonné des deux fusées d’appoint, au même moment, sur deux plateformes d’atterrissage situées non loin l’une l’autre, toujours à Cap Canaveral. Avec les années, Elon Musk a compris que l’exploration spatiale, c’est aussi le sens du spectacle. D’autant plus que la récupération de ces lanceurs permet aussi de réduire les coûts de lancement (il s’agissait déjà de fusées « recyclées ») et ainsi séduire des clients potentiels attirés par ce nouvel aspect du libre marché dans l’industrie spatiale.
Quant à la fusée principale, celle qui a propulsé la cargaison dans l’espace, SpaceX a fini par reconnaître que les moteurs d’atterrissage n’avaient pas fonctionné correctement en raison d’un manque de carburant. L’entreprise n’aura donc pas réussi le tour de force de récupérer ses trois lanceurs, dont le dernier sur une barge autonome naviguant dans l’Atlantique, mais le lancement de mardi est déjà à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de l’exploration spatiale.
À preuve, si une preuve supplémentaire est nécessaire, Musk a aussi accompli ce qu’il avait promis: c’est bel et bien sa voiture personnelle, une Tesla sport d’un rouge éclatant, qui est en route non pas vers l’orbite martienne prévue, mais plutôt vers la ceinture d’astéroïdes. Ce faisant, on évite les possibles risques d’une contamination de la planète rouge à l’aide de bactéries et virus tout à fait terrestres. En attendant la suite, c’est donc un mannequin vêtu d’un faux scaphandre, bien installé au volant d’une Tesla roadster, qui s’éloigne doucement de la Terre, un ironique Dont’ panic! tiré du Hitchhicker’s Guide to the Galaxy bien en évidence sur le tableau de bord.
Quelle suite pour SpaceX?
Avec le lancement de la Falcon Heavy, Elon Musk et SpaceX se rapprochent un peu plus du but ultime du fondateur de l’entreprise: établir une colonie sur Mars. Il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres.
D’abord, la Falcon Heavy peut possiblement envoyer des cargaisons vers la Planète rouge, mais encore faut-il déterminer le contenu desdits chargements.
Ensuite, SpaceX demeure une entreprise commerciale, et qui doit donc vendre ses services (et louer ses lanceurs). Nul doute que la Falcon Heavy servira d’abord comme système de mise en orbite de satellites plus volumineux que ceux qui étaient lancés par la Falcon 9. Il est aussi à parier que la compagnie devra continuer à peaufiner ses systèmes, histoire de récupérer ce fameux lanceur central à la conception quelque peu différente des fusées d’appoint.
Enfin, une question de plus en plus importante se pose: peut-on librement envoyer ce que l’on souhaite dans l’espace? A-t-on le droit de risquer de faire s’écraser des bactéries et autres agents pathogènes sur des planètes où pourraient se trouver des traces de vie extraterrestre? Qu’en est-il d’éventuels systèmes d’armement? Ou, dans une perspective moins alarmante, qu’adviendra-t-il si une entreprise privée revendique la propriété d’un astéroïde ou d’une lune? Elon Musk peut-il fonder sa colonie martienne et s’en proclamer le dirigeant?
Il s’écoulera encore bien des années avant que ces questions nécessitent réellement des réponses, mais l’heure des choix approche probablement plus rapidement que ce à quoi nous nous attendons.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/01/23/la-megafusee-falcon-heavy-de-spacex-enfin-sur-le-pas-de-tir/
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