Une mission spatiale vers Alpha du Centaure d’ici 50 ans? Le projet n’est pas irréaliste, mais les obstacles risquent de ne pas se trouver là où l’on pense.
L’idée a été annoncée en grande pompe mardi midi à New York par le milliardaire russe Youri Milner en présence du physicien Stephen Hawking. Alors que dans l’état actuel de la technologie, il faudrait des milliers d’années à une sonde spatiale pour rallier l’étoile la plus proche, le projet Starshot, pour lequel Milner a annoncé un investissement personnel de 100 millions, consisterait à envoyer des milliers de mini-sondes spatiales capables de franchir les 4,3 années-lumière en seulement 20 ans. Des sondes d’à peine quelques grammes, chacune équipée d’une grande voile : le « vent » qui leur fournirait leur « poussée » initiale serait fourni par un laser hyperpuissant resté sur Terre.
Un rayon laser aussi puissant ne risque-t-il pas de vaporiser la voile ou le robot?
En effet. D’après les calculs accompagnant Starshot, le laser devrait générer 100 gigawatts pendant les deux minutes nécessaires à faire accélérer la sonde jusqu’à un cinquième de la vitesse de la lumière. C’est l’équivalent de l’énergie nécessaire à soulever la navette spatiale, mais concentrée sur quelques centimètres carrés. Un des 20 défis technologiques énoncés dans le projet, et non le moindre, est donc là : pour que votre sonde spatiale survive à ce « coup de pouce », « vous devrez réfléchir 99,9 % du rayon lumineux » a expliqué Youri Milner. Sauf que toute forme de bouclier alourdirait indûment la sonde spatiale, alors que le concept d’une accélération jusqu’à 20 % de la vitesse de la lumière s’appuie sur une sonde qui soit la plus légère possible.
À supposer que la sonde y survive, un tel laser est-il plausible?
Oui: c’est la partie la moins hypothétique du projet. Le laser le plus puissant, à l’Université d’Osaka au Japon, a déjà généré une énergie 40 fois plus élevée, quoique pendant seulement un millième de milliardième de seconde. Ceux qui ont planché sur Starshot estiment qu’il faudrait construire un réseau de quelques milliers de lasers couvrant plus d’un kilomètre de large, tous capables de projeter leur rayon en même temps. Scénario idéal : dans une vingtaine d’années.
Si ça marche, où est le problème?
L’élément technique passé inaperçu dans cette annonce est l’appel téléphonique entre Alpha du Centaure et la Terre. Certes, la technologie actuelle permet d’intégrer à une sonde spatiale, aussi petite soit-elle, une caméra et une radio… mais à moins d’équiper cette sonde d’une énorme antenne, aucune technologie connue ne permettrait d’émettre un signal que nous pourrions capter à 4 années-lumière… ou 40 000 milliards de kilomètres. Ses données arriveraient donc dans nos parages — quatre ans plus tard — noyées dans le bruit de fond cosmique.
Elle frôlerait le Centaure, donc ne s’arrêterait pas autour d’une des planètes?
Une condition pour avoir des sondes spatiales aussi petites, c’est de ne transporter ni rétrofusées ni carburant. Le laser leur donnera donc une poussée initiale vers le système du Centaure, et elles ne feront que le frôler avant de poursuivre leur route indéfiniment. Pour photographier des planètes, elles auront donc un délai pour l’instant impossible à déterminer… puisqu’on ne sait même pas si le système du Centaure compte des planètes.
On a découvert des milliers de planètes, mais aucune autour de notre plus proche voisine?
Une des raisons tient peut-être au fait que ce n’est pas « une » voisine, mais trois. Ce qu’on appelle le « système du Centaure » est en effet composé de trois étoiles : une paire, Alpha et Proxima, et une naine rouge qui leur tourne autour. Ce système s’avère-t-il trop instable pour maintenir des planètes, ou sommes-nous simplement incapables de voir les planètes ? Le débat se poursuit, mais une observation de 2012 a été invalidée l’an dernier.
C’est un projet privé : les gouvernements risquent-ils de s’en mêler?
Tôt ou tard, oui, parce que construire des lasers aussi puissants risque d’en inquiéter plus d’un. Une telle technologie, en de mauvaises mains, pourrait devenir une arme dévastatrice. La question a d’ailleurs été abordée lors de la conférence de presse à New York: c’est la raison pour laquelle ces lasers seraient construits au sol — où ils ne pourraient pas être dirigés vers n’importe quelle cible — plutôt qu’en orbite.
Qui va payer?
À court terme, les 5 à 10 milliards de dollars US estimés mardi sont uniquement pour la recherche et le développement des technologies — y compris un prototype d’une première sonde interstellaire. Youri Milner s’est engagé à fournir les 100 premiers millions. Milner s’est déjà distingué en science: on lui doit les Initiatives Breakthrough, annoncées en 2015 — également avec Stephen Hawking — qui financeront un programme de 10 ans de recherche de signaux extraterrestres. Le président de Facebook, Mark Zuckerberg, est associé au projet.
Le coût de lancement des sondes ne serait toutefois pas couvert par cette somme, et il n’a pas été question non plus de la façon dont le programme assurerait le suivi pendant les 20 à 25 années suivantes.