La documentariste d’origine danoise, Eva Mulvad a pris quatre ans pour dresser le portrait du soliste d’origine norvégienne, Charlie Siem. A Modern Man (2017) présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) tourne moins autour de la représentation de ce violoniste qui aspire à figurer parmi les plus talentueux au monde qu’à sa remise en question d’un dilemme existentiel: être reconnu par ses pairs ou devenir populaire.
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Bien que l’introduction magnifie cet homme, il s’achète une Porsche en exigeant qu’on change le système de son et retire la minuscule inscription du concessionnaire à l’arrière pour ensuite le voir dévaler ce ruban de route à travers les montagnes filmé à l’aide d’un drone, l’intention de la cinéaste diffère. Cette séquence idéalisée qui appartient au documentaire est le fruit d’un compromis et revêt un caractère ironique, voire pathétique. Après la projection, Eva Mulvad a expliqué qu’elle a eu une longue discussion avec Charlie Siem afin de lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas faire une vidéo promotionnelle de sa personne.
Rencontrée à un concert, la documentariste a développé une « amitié cinématographique » avec ce soliste. Issue de la classe riche, l’existence de l’homme est vouée à la perfection. Son oreille est juste, il interprète des partitions complexes et chaque contrat qu’il accepte ou refuse se fait en fonction de l’objectif qu’il veut atteindre. Bref, son agent, son professeur et tout l’engrenage autour de son nom veillent à ce que son existence pointe vers les meilleurs interprètes de la musique classique. À cette détermination, la caméra et les entretiens d’Eva Mulvad viennent se greffer. Ce point de vue fait détonner cette aura.
Inspirée par le cinéma-vérité, la démarche de la documentariste se compare à celle de Jean-Claude Labrecque dans À hauteur d’homme (2003). Au lieu que la trame soit une campagne électorale se terminant par l’élection ou non du candidat, Charlie Siem décide de dévier de sa trajectoire perfectionniste pour devenir une vedette populaire afin de se constituer un public et peut-être atteindre la gloire. Y parvient-il ? «Je n’ai pas cherché à cadrer mon film. En cinéma, on a tendance à présenter les choses en noir et blanc. J’ai plutôt une approche littéraire, dans le roman il y a plusieurs nuances», a affirmé la cinéaste.
Au-delà de l’approche littéraire du cinéma, d’après l’essai L’Alternative paru en 1843 du philosophe danois Søren Kierkegaard deux mythes ont émergé de la modernité : «Faust (Goethe) et Don Juan (Mozart) sont les titans et les géants du Moyen Âge ; ils ne diffèrent pas de ceux de l’Antiquité par l’immensité de leurs efforts, mais par leur isolement… toute l’énergie est rassemblée dans le seul individu». Tiraillé entre l’homme «éthique» et l’homme «esthétique» du philosophe, il est clair que le narcissisme remplace la présence de femmes dans l’existence du soliste. Ne serait-il pas plutôt un homme post-moderne?
«Je n’avais pas envie d’une thérapie, qu’on résume les choses à un problème père/fils», a affirmé la cinéaste au sujet d’une scène étrange, voire comique. Dans la même veine que Pour la suite du monde (1963) de Pierre Perrault, Eva Mulvad a fait traiter l’homme moderne par un massothérapeute danois fameux pour avoir développé sa propre technique en se basant sur les médecines chinoises et indiennes. Filmé d’en haut et de côté, le masseur lui brasse les bras et lui empoigne le ventre afin de lui révéler la nature de ses tensions.
On finit par s’attacher à «lui» du fait qu’il détient une facette de notre personnalité.
A Modern Man (2017) sera projeté samedi le 18 novembre à 15h15 au Cinéma du Parc, et les RIDM se déroulent jusqu’au 19 novembre.