Le programme triple présenté le 12 novembre à la 20e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) projetait les courts-métrages The Bird and Us (2016) de Félix Rehm et La frontière (2017) de Félix Lamarche, ainsi que le moyen-métrage Braguino (2017) de Clément Cogitore. À l’intérieur du cadre de cette série, chaque film aborde un thème en lien avec un état de la matière sensibilisant le spectateur à la plastique de l’image.
Un homme se demande pourquoi il est parti puisqu’il était bien à cet endroit, alors que le bruit saccadé d’un hélicoptère devient de plus en plus assourdissant. Cette double séquence dans l’obscurité, troublante et intrigante, ouvre la coproduction finno-française, Braguino (2017) prenant place en Sibérie orientale.
À la lumière du jour, l’homme raconte qu’il est parti avec un grand bateau s’installer dans cette contrée sauvage où il ne chasse que le nécessaire pour survivre. Accompagné de son fils aîné, il tire les canards que ses jeunes enfants s’amusent à plumer. L’équipe de tournage se fond dans cette famille au point d’interagir avec eux. Lorsqu’un ours pris dans un de leurs pièges fonce vers eux, la caméra fixe bouge. L’adolescent se retourne et les regarde en leur disant: «Vous avez peur d’un ours!?».
Tout au long de cette immersion au cœur de cette famille qui vit en autarcie, le spectateur est interpellé par des images qui balisent cette liberté au point de la faire basculer. Le père de famille énonce que l’homme est la pire menace dans cette forêt, s’inclut-il ? À côté, de l’autre côté de la rivière qui n’appartient à personne, une autre famille s’est installée. Ceux-ci font venir des chasseurs contre de l’argent, on suppose, qui vident la forêt pour leur plaisir.
Sans nous laisser nous évader, le documentariste Clément Cogitore nous fait voyager aux confins de la notion de propriété. Certains y verront la version brute du film Voisins (1952) de Norman McLaren, alors que d’autres puiseront leur référence dans la Genèse avec le récit de Caïn et Abel, sans toutefois occulter les problèmes soulevés en ethnologie, dont le tabou de l’inceste, ainsi que la dimension du rêve et l’impact des technologies.
Franchir l’océan
Lors d’une résidence de création, le jeune cinéaste Félix Lamarche qui a réalisé le film sublime Les terres lointaines (2017) a plongé dans une réflexion sur l’univers aqueux dans lequel on baigne et qui nous habite. Bien qu’à la base il ait tenté de monter La frontière (2017) seulement qu’avec des images prises à bord d’un bateau aux côtés d’océanographes menant une mission scientifique, après un certain recul, il a décidé d’ajouter des images d’archives. S’il justifie cette option comme l’établissement d’une perspective temporelle, ses pensées énoncées en voix hors champ transforment plutôt ces images de sous-marins et d’astronautes en grille d’analyse qui se referme sur son objet: l’esthétique de la biologie.
Projet de fin d’études, le film The Bird and Us (2016) du jeune monteur d’origine française Félix Rehm illustre à l’aide d’archives multiples le procès opposant le sculpteur Brancusi à l’État américain en 1927. Bien qu’il ait cherché des images de tribunal, le monteur s’est résolu à ne montrer que des images en lien avec le thème de l’oiseau étant donné que le litige concerne une sculpture intitulée «Oiseau». En fait, cette œuvre d’art avait été taxée même si la douane américaine ne taxait que les produits manufacturés. L’artiste devait prouver à la Cour en quoi il s’agit d’une œuvre d’art. L’emploi du silence pour relater l’échange, le fond sonore évoquant l’étrangeté et l’enchaînement des séquences cerne un certain vide, pourtant essentiel.
Les RIDM se déroulent du 9 au 19 novembre.
En complément: