À l’annonce de la rencontre du premier ministre du Canada, Justin Trudeau avec la conseillère d’État du Myanmar (Birmanie), Aung San Suu Kyi le 10 novembre à Hô-Chi-Minh-Ville au Vietnam, pourquoi ne pas revenir sur le documentaire Le vénérable W. (2017) du cinéaste suisse d’origine iranienne, Barbet Schroeder qui s’appréhende avec une interrogation. En quête du nirvana, comment des moines bouddhistes peuvent-ils s’adonner à des manifestations violentes?
Au centre de l’Asie du Sud-Est, les touristes qui prennent part au Full Moon Party sur les plages paradisiaques de la Thaïlande sont loin de se douter que le pays est bordé par deux régimes inégalitaires, voire racistes. Au sud, l’héritage de la colonisation britannique en Malaisie s’est transformé en en un système multiculturel où l’ethnie musulmane détient tous les privilèges au détriment de ceux des ethnies indienne et chinoise, rapporte l’étude de terrain des hommes de lettres danois, Jens-Martin Eriksen et Frederik Stjernfelt dans leur ouvrage Les pièges de la culture paru en 2012. Au nord du territoire thaïlandais, en Birmanie, le rapport interethnique s’inverse.
À la suite de « travellings » pour montrer le panorama de pagodes aux pignons dorés et de moines aux crânes rasés drapés de tissus rougeâtres, le cinéaste nous présente en plan fixe le fameux chef spirituel. Assis en position du lotus, Ashin Wirathu évoque une analogie de son cru entre un type de poisson africain et les Rohingya, assimilant la minorité musulmane à des parasites ou à une menace à exterminer. Cette posture sage soutenant un propos sans sagesse devient le noyau du documentaire. Lorsque le vénérable W. parle de son enfance, il laisse entendre qu’il a été victime d’injustices. Par contre, ses discours devant ses fidèles pendant lesquels il reçoit des paquets cadeau avec brosse à dents cassent avec la sérénité du bouddhisme au point de l’associer à un prêtre inquisiteur.
À mesure que le cinéaste se dégage de l’emprise du moine déchu, l’horreur apparait à l’écran. À l’aide d’images d’archives plus ou moins claires, l’enjeu birman est mis à jour. Sous l’appellation « mouvement 969 » métamorphosé plus tard en « mouvement Ma Ba Tha », des symboles sacrés ont été utilisé pour créer une double rhétorique. Si les Birmans s’en trouvent réconfortés de stigmatiser les musulmans, ceux-ci comparent leur sort au nazisme.
Le cinéaste reconstitue l’imagerie promotionnelle des deux mouvements entre des images de musulmans qui lapident un monastère bouddhiste et ses occupants, de Birmans qui brûlent les maisons des Rohingya et celles du chef spirituel W. qui justifie cela en affirmant qu’ils brûlent eux-mêmes leur demeure afin d’obtenir de l’aide internationale. Ainsi, le spectateur est amené à trouver un sens dans la confusion de cette escalade de violence.
Images noires
Une scène nous montre l’irréparable: un moine qui assomme un homme dans un champ. L’atteinte du nirvana ne se réduit pas à l’atteinte du bonheur tel que conçu en Occident, les moines bouddhistes vivent dans la simplicité afin de ne pas émettre d’énergie karmique. Ce coup de bâton doit être perçu comme une négation de l’objectif spirituel, faisant écho à la révélation raciste d’Ashin Wirathu au début du film. Une posture sage soutenant un propos sans sagesse se traduit en actes, ainsi le spectateur se trouve empêtré dans des scènes de violence non-censurées et même accentuées par la propagande orchestrée par le moine déchu.
La figure du vénérable W. prend les couleurs de personnages obscurs du cinéma. Médusé comme le simple d’esprit joué par Joaquin Phoenix dans le film The Master (2012) de Paul Thomas Anderson, le moine déchu n’est peut-être pas un cobaye, mais c’est par lui que le bouddhisme bascule. Son regard est froid et son appétit cruel est sans fin tel le tueur joué par Benoît Poelvoorde dans le film C’est arrivé près de chez vous (1992) de Rémy Belvaux. Au lieu d’une proximité où l’équipe de tournage interagit avec le héros, l’utilisation de divers supports de l’image comme des archives, une caméra d’entrevue et l’écran d’un téléphone intelligent donne cette proximité à la violence.
Barbet Schroeder épargne l’élite riche, les militaires et l’activiste Aung San Suu Kyi comme s’ils étaient assis dans les gradins de cet engrenage infernal. Récompensée du prix Nobel de la paix, comment l’activiste Aung San Suu Kyi peut-elle permettre ces massacres?
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