Dans un Liban encore coincé dans un Empire ottoman qui n’en finit plus de mourir, plusieurs décennies avant l’éclatement qui suivra la Première Guerre mondiale, voilà que débarque Khanjar Jbeili, venu d’on ne sait où en compagnie de ses quatre fils. Ce mystérieux homme entreprendra d’édifier un empire qui s’étendra sur 150 ans, une dynastie soumise à de terribles pressions, internes comme externes, et dont la survie entraînera son lot de drames.
Travailleur, mais aussi agressif en affaires et inflexible, le patriarche Jbeili jettera les bases de son domaine dans des montagnes escarpées, en cultivant d’abord un petit lopin de terre désolé. À ses fils, il confiera éventuellement la gestion des terres familiales, avec un seul ordre à respecter en tout temps: seul l’aîné pourra se marier et donner naissance à des héritiers.
Ce commandement, apprend-on, vise à éviter les conflits familiaux pouvant entraîner l’éclatement de la dynastie et la dispersion des biens. Mais cette décision pousse aussi les fils déshérités à se rebeller contre le père et à s’exiler. De l’Italie au Mexique, en passant par une aventure incroyable via la Russie blanche et la Chine, les descendants Jbeili se répandront presque aux quatre coins du monde, renvoyant des missives et des souvenirs fascinants.
L’empereur à pied est plus qu’un roman de Charif Majdalani publié aux éditions du Seuil. C’est aussi – et surtout – le récit de la transformation du monde pendant un siècle et demi vue à travers les yeux d’une seule famille. Famille qui gagnera en puissance et en pouvoir, mais dont les racines finiront par se flétrir peu à peu, cette règle de l’héritier unique alimentant lentement une haine qui menacera de faire s’écrouler l’édifice Jbeili pour n’en laisser que des ruines.
Ce qui saute d’abord aux yeux, outre la structure du roman tournant autour de longs monologues rapportant des événements s’étant parfois déroulés des décennies auparavant, c’est que l’auteur maîtrise parfaitement ses mots. Chose peu étonnante, dira-t-on, puisque M. Majdalani est professeur de lettres, mais l’exploit mérite d’être souligné: le style est complexe mais fluide, les mots sont finement choisis, les récits sont passionnants et exaltants…
L’empereur à pied, c’est l’Histoire avec un grand H, une soif de modernité et d’évolution qu’il est impossible d’arrêter. Une oeuvre fascinante qu’il est impératif d’ajouter à sa collection.