Dans le cadre de la série Possibles, qui se penche sur les éventuels développements culturels et sociaux des 25 prochaines années à Montréal, voilà que le Collectif Rien à cacher se penche sur les traces numériques des habitants de la métropole, le temps d’une performance présentée lundi soir dans le Vieux-Montréal.
En entrevue téléphonique avec Pieuvre.ca, l’un des membres du collectif, François-Édouard Bernier, explique que le terme « performance » est effectivement bien choisi pour décrire la prestation de lundi soir, puisqu’il ne s’agit pas véritablement d’une pièce en bonne et due forme.
« Le contexte de Possibles rend le tout plus performatif. D’autant plus que dans le cadre de Possibles, nous devions adapter notre performance au lieu que nous allions trouver », mentionne-t-il.
Fidèle à l’esprit de la série d’oeuvres présentées depuis le mois de janvier, et ce jusqu’à la fin de l’année, Possibles a contacté les membres du collectif pour donner vie à l’un des thèmes sur lesquels les citoyens se sont prononcés lors de consultations tenues fin 2016. « Nous avions déjà un concept », précise M. Bernier, qui a participé au ishow, une oeuvre au thème similaire présentée lors du Festival du Jamais lu, en 2016.
« Nous avons donc essayé de trouver un lieu qui correspondait à la thématique de notre projet; nous allons adapter notre matériau textuel à un espace pour tenter de créer un lien entre cet espace et le contenu. »
Ce lieu, ce sont les archives de la BAnQ installées dans le Vieux-Montréal. Un paradoxe sciemment voulu, explique M. Bernier, pour symboliser la grande quantité de données personnelles que nous semons à tous vents dans les espaces numériques.
Qu’y a-t-il en commun, d’ailleurs, entre l’avenir de Montréal et les données personnelles sur le web? Il y a, d’abord, cette évidence voulant que les Montréalais ont aujourd’hui presque tous une présence en ligne, et y laissent donc des données plus ou moins personnelles lorsqu’ils utilisent des services, effectuent des achats, etc.
Il y a, ensuite, le fait que la Ville elle-même recueille des données sur ses citoyens. Les informations de base, bien sûr, comme les adresses, mais aussi des informations sur la fiscalité, les services d’aqueduc, les contraventions… Il y a également des campagnes visant à améliorer les services publics, mais qui, par le fait même, font augmenter la masse de données personnelles qui se retrouvent entre des mains tierces. Notons, par exemple, l’application mobile proposée pour évaluer les déplacements en transport en commun. Ou encore le service Bixi qui, s’il ne suit pas les usagers à la trace, permet tout de même de tracer le portrait des déplacements et, avec le temps, de deviner l’endroit à chaque usager habite, travaille, les rues empruntées pour circuler entre ces deux endroits, etc.
« Dans le cadre du thème « Justice et Paix », nous abordons la notion de collecte de données, le rapport au privé; nous nous posons des questions qui concernent la justice et la sécurité nationale. C’est davantage la justice avec un grand J que la justice dans la ville », précise M. Bernier.
Si l’époque n’est plus à l’évocation de Big Brother, et ce malgré la persistance du concept de surveillance constante imaginé par George Orwell à la fin des années 1940, le citoyen moyen semble avoir aujourd’hui échangé une guerre éternelle contre l’Estasie et l’Eurasie pour un univers où la collecte de données est toujours aussi importante, voire pire, mais où les principaux responsables de cet espionnage constant portent des jeans, des cols roulés ou des t-shirts, ou visitent Porto Rico sous la forme d’avatars virtuels.
« Nous proposons une vision tendant vers un certain optimisme, mais nous passons à travers toute une série de réalisations qui sont assez effrayantes, et qui sont un peu consternantes. Notre parti pris, c’est de commencer avec notre rapport individuel à la vie privée; nous débutons avec les révélations d’Edward Snowden, en 2013, sur les programmes de la NSA – qui était d’ailleurs la pulsion créative de la première version (ishow). Depuis, les médias ont commencé à en parler davantage, et nous avons donc décidé d’orienter davantage le spectacle vers ce qui reste de ces révélations, et comment cela a affecté ou non notre utilisation de la technologie aujourd’hui. »
Prendre conscience de l’importance de la dissémination et du volume de nos informations personnelles en ligne, c’est bien, mais comment peut-on s’attaquer au problème? Impossible, convient François-Édouard Bernier, d’aller se cacher en forêt pour vivre loin de la société moderne. Et difficile de dire qui doit être responsable de l’éducation au public pour favoriser l’utilisation de mots de passe plus complexes, par exemple, et des comportements numériques sains pour protéger nos informations personnelles. Est-ce la tâche des écoles? Des parents? Des décideurs?
Le Collectif Rien à cacher lance le débat. Reste à voir si la société est prête à en discuter suffisamment longtemps pour apporter de véritables solutions à un problème dont les proportions augmentent hélas beaucoup trop régulièrement.