Rappelant la poupée vaudou, une série de petits personnages habitent leur boîte respective au fond de la galerie de l’Artothèque dans le cadre de l’exposition L’art à l’état brut se terminant le 14 octobre. Chaque poupée a droit à son poème, affiché à ses côtés.
En entrevue, l’artiste et art-thérapeute, Sylvie Fusade accompagnée de l’auteure des poèmes, Estelle Cambe ont démystifié ce projet artistique qu’elles qualifient de « diptyque ».
D’où provient l’idée de créer des poupées?
SF : J’ai découvert ce procédé de l’assemblage à travers ma pratique d’art-thérapeute. Ça a résonné par rapport au domaine de l’enfance, j’imagine. J’ai commencé à faire des recherches sur les poupées, puis j’ai découvert qu’il y avait un « monde » derrière ça. Côté tradition, il y a beaucoup de cultures qui fabriquent des poupées : autochtones, africaines, brésiliennes… pour manifester des choses implicites. Au début, je prenais du tissu que j’entourais de bandelettes et à chaque fois je mettais une intention de guérison dedans.
Serait-ce une projection de soi?
SF : Ça, c’est la vaste question de qu’est-ce qu’on fait en art? Que ce soit en arts plastiques, en art visuel ou en écriture, je pense que ça parle toujours de soi. Ce n’est pas rien de fabriquer de petites effigies avec des objets que je vais ramasser parterre. Je recolle des morceaux. Je recompose des choses avec de l’existence qui a été salie, vieilli, rejeté…
Les poèmes décrivent-ils les poupées?
EC : En fait, je vais raconter la suite de l’histoire… J’étais fascinée par ce que faisais Sylvie, j’écrivais déjà des poèmes, puis on a eu un échange entre artistes. Son idée de partir pendant six mois traverser plusieurs pays a été un appel pour imaginer ce projet. Elle a fabriqué des poupées au fur et à mesure de son voyage en m’envoyant des photos. Moi, à mon bureau à Montréal, je recevais les images de poupées. J’écrivais.
Caribéenne, Aconcagua, L’insulaire: des noms qui font référence à l’Amérique latine?
SF : Le voyage a commencé par Paris en 2015. J’ai glané des affaires au lendemain des attentats du Bataclan. La momie a été la première que j’ai fait, en Belgique. Après, ça a été plus l’Amérique du Sud.
EC : Il y a eu la Colombie, l’Argentine, la Patagonie, Haïti et Saint-Barthélemy. Au niveau de l’écriture, j’ai créé un imaginaire géographique à partir des images.
SF : Je cherchais à faire un carnet de voyage, mais atypique. Je ne voulais pas faire un carnet de dessins, ça ne me disais rien. J’avais besoin de travailler de mes mains.
EC : Ça a été prolongé dans l’écriture. Alors, moi, quand je voyais ses poupées je leur adressais la parole. C’était un peu comme mes amies imaginaires. L’écrit, c’est une exploration de soi. C’est ce que j’ai fait avec les poupées.
Votre œuvre est-elle la rencontre de vos imaginaires?
SF : L’ouvrage Femmes qui courent avec les loups de la conteuse psychanalyste Clarissa Pinkola Estés nous inspire beaucoup. Ce classique répertorie différents contes qui parlent de l’inconscient féminin dont le conte de la Loba. C’est l’histoire d’une très vieille femme au Mexique, une sorcière, qui passe son temps à ramasser les os dans la montagne. Quand elle a amassé tous les os qu’elle a pu trouver, elle les assemble et une fois qu’elle les a assemblés, le loup prend vie… il s’agit de la symbolique de guérison, redonner la vie à quelque chose qui est mort.
EC : La poupée, c’est un enfantement artistique!
Qu’est-ce que l’art brut?
EC : Ce n’est pas évident de saisir l’unité de l’exposition à l’Artothèque. C’est vrai que la démarche de Sylvie est brute parce que quand elle crée c’est une impulsion première. Elle a rassemblé les matériaux, puis quand elle s’y met : pouf ! Alors que l’écriture, elle est plus réflexive.
Quelle est la situation de l’art-thérapie au Québec?
SF : L’art-thérapie souffre en ce moment, tout en bénéficiant d’un vent propice et favorable. Au Musée des beaux-arts (MBAM), on vient d’ouvrir un pavillon d’art-thérapie. De plus en plus, on parle d’art-thérapie dans les médias. Il y a des documentaires. Par contre, la profession d’art-thérapeute est en difficulté. Il existe deux formations au niveau maîtrise, à l’Université Concordia et à l’UQAT qui donne des cours à Montréal. En 2012, la loi 21 a été votée afin de protéger la psychothérapie. Nous, les art-thérapeutes, on nous a mis à l’écart de cette loi. Toutes les cohortes qui sortent de l’université ne peuvent prétendre être psychothérapeute, alors qu’elles sont formées pour ça.
La pratiqueront-ils au nouveau CHUM?
SF : Il y a un département d’art-thérapie à l’hôpital pour enfants Sainte-Justine, au pavillon Charles-Bruneau. Il y a un art-thérapeute, un musicothérapeute et sûrement qu’il y a un dramathérapeute. Quelques art-thérapeutes peuvent travailler en institution parce qu’ils étaient là avant que l’on adopte la loi 21. Ils se sont fait reconnaître par la suite.
Que pensez-vous de la galerie de l’Artothèque?
EC : On a eu de la chance avec eux. C’était une belle ouverture pour nous.
En-deça de la galerie, l’Artothèque est une bibliothèque composée d’environ 3000 œuvres d’arts dont le 2/3 d’entre elles se trouvent chez des particuliers, des entreprises ou louées pour des productions cinématographiques. Ces œuvres d’artistes contemporains, émergents ou de grands courants artistiques comme le Refus Global, sont répertoriées dans un catalogue en ligne. Cependant, leur présentation ne permet pas de rendre compte de la texture, des matières ou de leurs dimensions. Leurs prix varient entre 8 $ et 40 $ par mois. « Ce sont les œuvres qui circulent chez vous et non vous qui vous déplacez au musée », me confie la Chargée de la programmation culturelle et de la consignation, Thi-My Truong.
L’exposition L’art à l’état brut se termine le 14 octobre.