Sur la scène entièrement nue du Théâtre Prospero, c’est la catastrophe. Mais une catastrophe amortie, amoindrie, distillée au compte-gouttes, vécue comme un déchirement intérieur par les personnages, certes, mais comme une nuisance à laquelle on pense à peine par le reste de la population.
Cette horreur est contée dans la pièce Je disparais, une création de l’auteur Arne Lygre et à laquelle a donné vie le Groupe de la Veillée. À travers le point de vue d’une femme pour qui la vie fonctionnait sans problèmes – du moins jusqu’aux troubles -, les spectateurs assistent, impuissants, à l’effritement d’une série d’existences. Cette femme, tout d’abord, celle qui aimait s’asseoir dans son fauteuil près de la fenêtre. Mais aussi son mari, son amie, la fille de cette dernière. Tous des gens qui veulent fuir, fuir quelque chose que l’on ignore, se fuir eux-mêmes, peut-être.
Et pendant cette fuite, les voilà qui inventent d’autres vies, transposent leurs peurs, leurs espoirs, leurs sentiments dans d’autres corps, d’autres esprits, ceux des gens moins chanceux qu’eux. S’agit-il d’une fuite? Ou plutôt un dédoublement de leur personnalité, de leur soif d’existence? Plus le temps avance, plus les existences que l’on estime être réelles et celles que l’on prétend inventer tendent à se rejoindre, à fusionner, à n’être en fait qu’une déclinaison parmi tant d’autres d’une série d’événements qui forment la trame narrative d’une vie.
À force de multiplier ces appels à l’autre, on en vient toutefois à se demander si Lygre a effectivement voulu plonger dans une réalité alternative, ou si, plus cyniquement, il a voulu occuper le public pendant suffisamment longtemps pour justifier une oeuvre d’une durée d’une heure 20 minutes. En effet, plusieurs de ces apartés mettent en scène des situations terrifiantes et dramatiques, certes, mais le retour à la « vie normale » des personnages est souvent ordinaire, voire ennuyante. Le monde s’écroule autour d’eux, mais à l’image de véritables désastres, l’occupation la plus importante est bien souvent d’attendre qu’il se passe quelque chose.
Idem pour les inserts temporels affichés sur l’un des murs du théâtre. Cela permet de mieux situer dans le temps le déroulement de la pièce, certes, mais cela brise également le flot de l’action. Aurait-il été plus simple d’inclure le passage du temps dans les dialogues?
Le même questionnement a sa place lorsque vient le temps d’aborder la dernière partie, soit le point de vue du mari, invisible durant les 60 premières minutes. Après les événements vécus par la conjointe et celles qui l’entourent, en revenir au mari, sortir de cette construction dramatique qui n’a cessé de prendre de l’ampleur représente une cassure nette dans le rythme du texte. Encore une fois, intégrer ces développements au texte principal aurait permis de mieux structurer la chose.
Faut-il donc aller voir cette ouvre d’Arne Lygre? Je disparais a de bons et de moins bons côtés. L’aspect brouillon de la structure est en fait passablement à l’image du scénario lui-même. À voir, dans ce cas, si le flou est un attrait ou un repoussoir pour le public.