Avec cette adaptation énergique du roman du même nom, Ridley Scott nous revient dans une forme qu’on n’attendait plus de sa part dans un film qui, quand le hasard fait les choses, devient étrangement d’actualité. Mars, nouvel horizon de possibilités pour tous, les cinéastes d’hier inclus.
Reconnu pour être un perfectionniste aux limites de l’agacement, Ridley Scott a de la misère à faire une version définitive de ses projets comme savent en témoigner ses nombreux Director’s Cut qui finissent toujours par faire leur apparition plusieurs années ou non après que ses films aient envahi les salles sombres. Si son film culte Blade Runner a eu droit à plusieurs versions et qu’il a légué, comme il aime le faire, la suite à quelqu’un d’autre, il semble finalement changer de cap et démontre pour la première fois un plaisir démesuré avec The Martian, peut-être son film le plus amusant en carrière.
Exit le film biblique et son relativement pénible Exodus: Gods and Kings, et tous ses autres films d’une gravité significative, alors qu’après Alien et Prometheus, il aborde enfin l’espace avec amusement, partant d’une prémisse terrifiante pour en faire un terrain de jeu déroutant. Peut-être doit-on remercier son scénariste Drew Goddard (Scott n’écrit jamais ses scénarios) qui a un humour qui lui est propre, trouvant toujours dans les situations graves la touche nécessaire pour divertir aux bons moments, comme en témoigne son brillant The Cabin in the Woods et le sens de la répartie de son Cloverfield.
Ainsi, suite à une mission spatiale qui tourne au vinaigre, une équipe est contrainte de quitter la planète Mars au plus vite et, le croyant mort, laisse derrière eux l’un de leurs collègues. Le hic, c’est que ce dernier a miraculeusement survécu et se retrouve laissé à lui-même sur une planète où les rations s’avèrent limitées et la possibilité d’une équipe de secours se compte en mois.
Si l’on dit que « les morts ne racontent pas d’histoire », et bien dans ce cas le film pourrait difficilement mieux y adhérer, car il s’arrange certainement pour garder sa grande palette de personnages colorés le plus en vie possible pour maximiser le potentiel de ses directions narratives. C’est comme cela qu’un discours se tisse lentement, mais sûrement entre notre héros américain Mark Watney et ses entrées vidéos de journal de bord, et les multiples efforts déployés par toutes les branches de la NASA pour le ramener sur Terre.
C’est de cette façon, en refusant de donner raison à la mort ou à la fin de quoi que ce soit, que, dans sa façon de plutôt croire en la vie (si ce n’est la survie), le film s’avère d’un optimisme sidérant qui est relevé de manière éloquente avec son humour prédominant. Puisque oui, n’en déplaise à la gravité de sa prémisse et ses campagnes publicitaires le ton du film n’a pas envie du mélodrame du Cast Away de Robert Zemeckis, même si on y repense, et veut se rapprocher du dynamisme du 127 Hours de Danny Boyle, les effets tape-à-l’œil en moins puisque Scott a toujours ce rapport singulier avec le réalisme.
C’est là, de par son approche intellectuelle, que le film satisfait le mieux. En mettant de l’avant la débrouillardise humaine, la superproduction surprend de par l’intelligence qui s’en dégage, et ce avant de virer en une course contre la montre qui rappelle Armageddon tout en devenant terriblement américain et conventionnel. Il faut croire que le cinéaste a encore de la misère avec ses durées, lui permettant au gré des deux heures trente de son long-métrage de se saboter lui-même avec ses scènes d’action précipitées qui rappellent les faiblesses de Gravity et de Interstellar réunis.
Néanmoins, si la teinte du film a sa propre couleur, il s’avère certainement plus intéressant de l’enrichir en utilisant le métacontexte qui semble continuellement le ramener sur Terre, à l’instar du but ultime de son scénario vis-à-vis son protagoniste.
Puisque voilà, avec le fourmillement intensif des productions qui ont lieu dans l’espace, difficile de ne pas faire des parallèles bon-enfant qui changent souvent la donne dans les choix du film, notamment au niveau de son imposante distribution. Ainsi, en nommant à peine le tiers des noms qu’on a réunis, si Jeff Daniels ressort indéniablement son personnage de Will Mcavoy suite à l’annulation de l’extraordinaire télésérie The Newsroom, que Donald Glover fait le cabotin et que Kristen Wiig surprend à nouveau par son indétrônable charisme et son sens incroyable de la répartie, difficile de ne pas se dire qu’on a enfin permis à Kate Mara et Jessica Chastain de s’envoler vers l’espace après que leurs Fantastic Four et Interstellar les ont respectivement laissées au sol.
De plus, si on essaie de nous changer les idées, il demeure impossible de ne pas prendre ce film comme étant d’une certaine façon la face cachée du personnage de Matt Damon dans Interstellar également, alors que son personnage était aussi laissé à lui-même sur une planète lointaine.
The Martian est donc une demi-réussite. Oui, c’est un divertissement qui fait très bien passer le temps et qui surprend continuellement avec son humour, tout en rappelant le talent qui habite Ridley Scott. Toutefois, on ne peut s’empêcher d’y voir une autre propagande américaine qui se termine exactement comme on l’aurait prédit, ressassant de nombreux clichés au passage, alors que le réalisme et la modestie en prennent pour leur rhume dans son dernier acte.
On prendra donc ce film avec des pincettes, appréciant ses forces, respectant ses faiblesses et saluant son positivisme qu’on écarte trop souvent au passage quand tout semble impossible, se montrant reconnaissant qu’il nous refait croire à la possibilité de raconter sans trop s’encombrer. Alors oui, on peut dire que Ridley Scott nous redonne enfin envie de s’intéresser de nouveau à ses histoires. Et c’est tant mieux pour tout le monde.
7/10
The Martian prend l’affiche ce vendredi 2 octobre