Avec son nouvel album intitulé Rêves américains, tome 1 : la ruée vers l’or, Thomas Hellman nous convie à un voyage musical exceptionnel, en rendant hommage aux gens ordinaires qui ont bâti l’Amérique. Alors qu’il est en spectacle jusqu’au 3 octobre dans le cadre du Festival international de la littérature, Pieuvre.ca en a profité pour s’entretenir avec l’artiste.
Rêves américains, tome 1 : la ruée vers l’or a débuté à la radio sous forme de chroniques à l’émission « La tête ailleurs ». Qu’est-ce qui t’a donné le goût de faire ces chroniques à l’origine, puis de t’en servir pour un album?
Thomas Hellman : L’idée d’origine, donc vraiment l’impulsion, est arrivée quand beaucoup d’articles sont sortis sur la crise en 2008. On comparait beaucoup la crise qu’on était en train de vivre à ce moment-là avec celle des années 1930 aux États-Unis. Pendant la période des années ’30, qui est une époque que je connais bien, surtout au niveau de la musique, il y avait des formes d’art tellement importantes, tellement poignantes… Je pense entre autres à des gens comme Woody Guthrie ou Jimmy Rogers, des chanteurs folk qui ont vraiment réussi à donner un sens à leur époque, et je trouvais que c’était intéressant de replonger dans cette histoire-là, pour voir ce qu’elle avait à nous dire sur notre propre crise.
Selon toi, est-ce que le rêve américain existe encore aujourd’hui, ou il faut vraiment replonger dans le passé pour en retrouver les traces?
Thomas Hellman : C’est une très bonne question… Le mythe américain existe encore, c’est-à-dire le mythe de la liberté, des grands espaces, de l’égalité des chances, mais est-ce que le rêve existe encore? Je n’en suis pas sûr. La raison pour laquelle j’ai mis « rêves » au pluriel (dans le titre de l’album), c’est que je voulais mettre l’accent sur la multitude des rêves. Je voulais opposer le mythe américain, qui naît avec la ruée vers l’Ouest, la ruée vers l’or, à celui dont on entend parler maintenant. Ce qui m’intéressait, c’était d’opposer ce rêve-là à tous les autres rêves. Aux rêves des individus, et surtout je dirais, aux rêves brisés. Je pense entre autres aux Amérindiens, dont je parle sur l’album à travers le texte de Frank H. Mayer, « Le tueur de bison ». Une autre dimension qui est importante pour moi est l’opposition entre le mythe américain, et un autre rêve, celui de Henri David Thoreau, qui n’est pas celui de la conquête ou de la domination, mais plutôt une espèce de rêve pour trouver une liberté plus intérieure, et une certaine harmonie avec la nature. Et pour moi, ce rêve-là est menacé en ce moment.
Tu signes habituellement tes propres compositions, mais sur Rêves américains, tome 1 : les chercheurs d’or, tu as adapté et traduit des chansons et écrits d’autres personnes, dont Woody Guthrie, John Steinbeck, ou Henri David Thoreau, justement. Comment as-tu choisi les textes?
Thomas Hellman : En fait, ce n’est pas la première fois que je fais ça. Faut savoir que pour mon dernier projet, Thomas Hellman chante Roland Giguère, j’avais mis en musique des poèmes de Roland Giguère, et dans le spectacle, j’abordais d’autres auteurs d’Amérique, comme Eduardo Galeano ou Naomi Fontaine, la jeune auteure Innu. Donc, j’avais déjà fait ça dans le passé. C’est un travail qui prend beaucoup de temps, parce que, très souvent, je prends des textes anglais, je les traduis en français, et ensuite, je vais les retravailler pour aller en chercher la musicalité. Dans le cas de Thoreau par exemple, ce sont des extraits que j’ai mis ensemble pour essayer de cerner l’idée; c’est la même chose avec Frank H. Mayer. Donc, c’est un travail qui consiste à aller chercher le sens, mais disons que je travaille beaucoup le texte. Le texte est la matière première, mais je l’emmène vraiment ailleurs.
Est-ce que tu as rencontré des défis particuliers de traduction ou d’adaptation pour t’approprier le matériel qu’on retrouve sur l’album?
Thomas Hellman : Oui. Dans le cas de Frank H. Mayer par exemple, c’était un texte qui avait une rythmique très intéressante en anglais, et je n’ai pas trouvé la même rythmique dans les traductions qui avaient été faites en français. Souvent, c’est des traductions qui avaient été faites en France. Elles étaient bien faites, mais c’était très français de France, très littéraire. Ça n’avait pas la rythmique folk dont j’avais besoin pour mon projet. Donc, j’ai dû retravailler le texte pour essayer d’aller chercher cette rythmique-là. C’est un projet qui est à mi-chemin entre la chanson et le conte, mais la dimension musicale est très importante. Pour moi, quand les gens l’écoutent, il faut qu’il y ait un bonheur musical à l’écouter du début jusqu’à la fin. Il faut qu’il y ait un flot, une continuité, une rythmique. Il faut qu’il y ait une mélodie, même dans les textes lus. Je voulais que si tu lui accordes une écoute plus approfondie, tu puisses aller chercher de la profondeur et réfléchir sur les thèmes, mais je voulais aussi qu’il y ait une expérience musicale qui soit très claire.
Selon toi, qu’est-ce qui fait que des histoires de chercheurs d’or ou de chasseurs de bisons qui datent de plus d’un siècle sont encore pertinentes aujourd’hui?
Thomas Hellman : Je répondrais à la question en disant que ce projet-là, c’est parti de nous tous. Parce que je n’explore pas vraiment l’histoire des États-Unis, j’explore plus l’américanité, donc, la création du mythe américain, et je pense que nous tous, en tant que Québécois, Canadiens, habitants de l’Amérique du Nord, notre histoire est liée à cette histoire-là. Je dirais surtout à nos histoires. Ce que je veux dire par là, c’est que l’Amérique est faite de plein de petites histoires. De personnages souvent plus grands que nature. Et il y a quelque chose dans ces personnages-là que l’on sent à la fois très proches, et très loin. C’est-à-dire que, on a l’impression qu’il y une Amérique qui a été perdue, mais en même temps, elle est très proche de nous. Tu vois ce que je veux dire? Elle nous influence encore, mais elle nous échappe déjà.
Rêves américains, tome 1 : la ruée vers l’or est un voyage historique, mais c’est aussi un voyage personnel : on voit des photos de ta famille dans le livret, tu consacres une chanson aux prétendants de ta grand-mère… Est-ce qu’il a été difficile de trouver l’équilibre entre le côté historique, et le côté personnel?
Thomas Hellman : Oui, beaucoup. Je ne voulais pas que ce soit un cours d’histoire. C’était très important pour moi. Ce n’est pas un cours d’histoire linéaire, avec un début, un milieu, et une fin : c’est plus une exploration artistique de l’histoire. Et puis, l’un des moyens de sortir du côté didactique, du côté trop historique ou purement informatif, c’était d’injecter un peu de ma propre histoire, et de la mélanger à celle de tous les autres personnages, pour m’assurer justement que je n’étais pas en train de raconter la grande Histoire, mais de plutôt suggérer les petites histoires. C’est vraiment ça que je voulais faire.
Tu es en spectacle jusqu’au 3 octobre dans le cadre du Festival international de littérature, dont tu signes conjointement la mise en scène avec Brigitte Haentjens. À quel genre de spectacle les gens peuvent-ils s’attendre?
Thomas Hellman : Je dirais que l’album accompagne le spectacle. L’œuvre vraiment importante pour moi, c’est le spectacle. À la base, c’était un spectacle, et l’album est venu plus tard. L’album n’est consacré qu’à la première partie du spectacle. Pour moi, le projet prend vraiment tout son sens sur scène, parce que c’est sur scène que je crée l’opposition entre la ruée vers l’or et la Grande Crise. L’album est consacré juste à la première partie, et c’est vraiment sur scène que toute la profondeur de l’exploration, la complexité que j’ai essayé de suggérer, prend tout son sens.
Pourquoi t’es-tu concentré seulement sur la période de la ruée vers l’or pour l’album? Est-ce que tu as l’intention de lancer un tome 2 prochainement?
Thomas Hellman : J’ai absolument l’intention de faire un Rêves américains, tome 2. Le tome 1 se tient en lui-même évidemment, parce que c’est la création du mythe américain, mais la deuxième partie, c’est plus les dessous de la création de ce mythe. C’est tout ce qui sous-entend ça. Donc, évidemment, il y a une dimension de souffrance, parce que j’aborde la souffrance que les gens ont vécue durant la crise, mais il y aussi une dimension de résilience, et la musique est un outil incroyable pour aller puiser du sens dans la souffrance. Je fais référence à l’esprit de la musique gospel. Ce qui est magique avec le gospel, c’est que c’est une musique entraînante, qui donne envie de taper du pied, qui fait du bien, mais pourtant, c’est une musique qui aborde la souffrance. Elle va chercher la lumière dans la noirceur. La deuxième partie du spectacle explore beaucoup plus la souffrance, mais surtout la rédemption. Donc, la lumière au bout du tunnel.
Est-ce que tu as une idée de la date de sortie d’un éventuel Rêves américains, tome 2?
Thomas Hellman : Je n’en ai absolument aucune idée (rires). J’aimerais que ce soit dans la prochaine année, mais pour le moment, je fais tout ça tout seul, tu sais. Je suis producteur de mon propre spectacle, producteur de mon album, donc, ça me fait beaucoup à porter en ce moment. Puis là, ça vient juste de sortir, et l’album et le spectacle. Il y a comme un buzz, ça marche bien, donc, on verra. Comme ça marche bien, j’ai espoir que le deuxième tome verra le jour dans pas très longtemps.
Thomas Hellman – Rêves américains : de la ruée vers l’or à la Grande Crise
Présenté dans le cadre du Festival international de la littérature
Tous les soirs jusqu’au 3 octobre, 20h00, Théâtre Outremont, Montréal
Pour plus d’informations, cliquez ici