Lancer un nouveau média uniquement sur le web au Québec… mais vous n’y pensez pas? Et pour y parler de musique classique, en plus? Le projet Ludwig van Montréal, piloté par la journaliste Caroline Rodgers, démontre non seulement que l’audace journalistique n’est pas chose du passé, mais qu’il est aussi possible de traiter de musique classique de façon intelligente et originale.
Ludwig van Montréal, c’est donc un média portant sur l’univers étonnamment vaste de la musique classique. Lancé peu de temps à la suite de la déclinaison torontoise de l’entreprise, le site web vise à rencontrer les artistes d’ici et d’ailleurs, tout en offrant une visibilité aux différents entreprises, orchestres et événements du milieu montréalais.
À la tête de l’organisation de la métropole québécoise, on trouve Caroline Rodgers, ancienne journaliste spécialisée en classique de La Presse, et ex-rédactrice en chef de la revue La Scena Musicale. Onze ans d’expérience, plus de 3000 articles au compteur… Ce qui a surpris la nouvelle patronne, en fait, ce sont toutes les tâches périphériques à la production de contenus journalistiques.
« Ce que les gens ne voient pas, peut-être, c’est tout le travail qui se trouve en arrière de la publication d’articles… Je ne suis pas nécessairement quelqu’un de particulièrement doué avec la technologie, alors j’apprends en faisant le site, j’apprends de nouvelles fonctions tous les jours. C’est assez intense », confie Mme Rodgers.
Assez intense, en effet, comme le dit Mme Rodgers, puisque deux semaines après le lancement en grande pompe à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, l’un des organismes partenaires du site, il y a encore beaucoup de travail à faire. Certaines sections de la page web doivent encore être traduites dans la langue de Molière, il faut poursuivre les démarches du côté du marketing, plusieurs centaines de concerts doivent encore être ajoutés au calendrier pour la saison 2017-2018 – « On en compte plus de 600 pour Montréal! », lance au passage la rédactrice en chef…
Tout cela, bien entendu, en gérant parallèlement l’équipe de rédacteurs, en mettant en ligne des articles sur une base régulière, en corrigeant des textes, en recadrant des photos dont il a fallu trouver les crédits… Pas étonnant que Mme Rodgers, rencontrée vendredi dernier en début de soirée, dise ressentir une certaine fatigue.
Mais fatigue ou pas, les démarches de lancement d’une entreprise indépendante, entamées en décembre 2016, ont porté fruit. Après des discussions avec Michael Vincent, à Toronto, alors à la barre de Musical Toronto, un autre média web portant sur le classique, voilà que prend forme l’idée de Ludwig Van, une série de sites internet se déclinant dans diverses villes au pays.
Ludwig van Montréal, c’est aussi une fronde contre la disparition progressive de la place accordée à la culture dans les médias généralistes. Qu’il s’agisse de cinéma, de théâtre, de littérature, de danse ou de musique, le journalisme culturel traditionnel se heurte à la baisse des revenus des grands médias, et est de plus en plus forcé de se réinventer, bien souvent en se transposant sur le web, via de nouveaux médias.
La couverture du milieu de la musique classique n’y échappe pas non plus; et même si certains médias web s’intéressent effectivement au milieu – dont Pieuvre.ca -, il n’y avait pas ici, jusqu’au lancement de Ludwig van Montréal, de média web spécialisé dans ce domaine. Voilà qui est chose faite.
Financé par la communauté
Qui dit entreprise médiatique dit aussi revenus. Pour Ludwig van Montréal, ces revenus proviennent principalement de deux sources: un compte Patreon, d’abord, avec récompenses à la clé en fonction de l’ampleur des contributions du public, mais aussi (et surtout) un financement par des organismes, salles de spectacle et orchestres désirant devenir membres du site.
Si Mme Rodgers préfère ne pas donner trop de détails sur la structure commerciale du site, elle mentionne toutefois qu’en devenant membres de la Communauté musicale, les commanditaires ont droit à une page personnalisée sur le site, à des publications spéciales (clairement identifiées comme étant du contenu commandité), etc. « Je déteste demander de l’argent, mais je suis passée par-dessus ma répugnance parce que je trouvais que c’était un projet important qui devait voir le jour », mentionne la rédactrice en chef.
Les contacts établis après une dizaine d’années passées dans le milieu ont porté fruit: tous les organismes contactés par Caroline Rodgers avant le lancement du site ont accepté de contribuer à la réalisation de la version montréalaise de Ludwig Van.
« Je leur ai dit qu’il y a plein de choses extraordinaires qui se font en musique classique à Montréal, et qui passent complètement sous le radar médiatique, pratiquement personne n’en parle. Je trouve qu’il faut avoir un média spécialisé, moderne, qui est mis à jour tous les jours. Le but est de continuer de développer la couverture. »
Y a-t-il danger de vouloir éviter de mordre la main qui nourrit le site, puisque les commanditaires sont également les présentateurs ou les organisateurs d’oeuvres qui seront critiquées par les journalistes? « Quand j’ai contacté les organismes, je leur ai dit que tout (ce que nous allons écrire) n’allait pas nécessairement être positif », précise Mme Rodgers. « Parce que sinon, nous n’aurions plus aucune crédibilité, personne ne voudrait nous lire. »
De par sa nature même, Ludwig van Montréal doit surmonter deux défis: survivre en tant que média web, d’abord, avec tous les obstacles techniques et financiers que cela suppose, mais aussi contribuer à rajeunir et diversifier le public s’intéressant à la culture, et plus précisément à la musique classique.
Car on a beau parler d’un domaine d’intérêt réservé aux personnes âgées, ou encore inabordable en raison du prix des billets, par exemple, le fait est que ces deux arguments ne tiennent pas la route: le milieu de la musique classique est tout ce qu’il y a de plus vivant, et se décline de centaines de façons différentes, un peu partout à Montréal et ailleurs.
Au final, Caroline Rodgers et Ludwig van Montréal ne manquent pas d’audace. Il restera à voir s’ils auront les reins assez solides… et les moyens de leurs ambitions.