Montréal, ce sont des institutions, un secteur culturel, une économie, des infrastructures, mais aussi une façon d’attraper ses habitants par les tripes. De nourrir leur âme, peut-être, sans oublier de remplir leur estomac. Dans le cadre de série d’événements Possibles, le chef Antonin Mousseau Rivard veut réinventer la façon de « manger montréalais ».
C’est l’été, et une fois n’est pas coutume, il fait (très) chaud, en ce vendredi midi, sur la rue Ontario. À l’intérieur, la climatisation et une eau bien fraîche permettent heureusement d’oublier la brève canicule et de s’attaquer au vif du sujet.
En face de ce journaliste, Antonin Mousseau Rivard, qui oeuvre au restaurant Le Mousso, en a long à dire sur l’économie locale et la mondialisation de l’alimentation. Ce n’est pour rien, après tout, que pour cette huitième déclinaison de la série Possibles, M. Mousseau ait choisi d’offrir aux membres du public un mélange gustatif et musical. Gustatif, d’abord, puisque les convives se rendant jeudi aux installations temporaires sises coin Atlantic et Durocher auront l’occasion de découvrir des créations réalisées à partir d’ingrédients cultivés et élevés sur l’île ou à distance maximale de 100 kilomètres de la métropole. Musical, ensuite, puisque comme le chef connaît bien les gars du groupe Alaclair Ensemble, pourquoi ne pas conclure cette soirée par une prestation de la formation?
Pourquoi, en fait, s’intéresser aux ingrédients d’ici? « Tout d’abord, comme Possibles représente l’art, et que la gastronomie est un art », il est tout à fait pertinent d’en faire le thème de cette neuvième activité, explique l’homme de 32 ans.
« C’est sûr que c’est un événement qui diffère des Possibles habituels, puisque c’est moins concret, cela prend davantage des allures de message… Nous ne voulons pas commencer un mouvement, mais mes amis et moi-même, nous avons envie de montrer aux gens à quel point la beauté des aliments est déjà sur l’île, autour de nous. »
« Nous voulons ainsi faire prendre conscience de tout ce qui est comestible autour de nous, mais aussi constater l’ampleur des espaces que nous perdons, des espaces actuellement inutilisés qui pourraient être reconvertis en terres cultivables », poursuit le chef.
Selon lui, ce recours beaucoup plus grand aux cultures locales aidera également à dynamiser l’économie: « Si on arrêtait d’aller chez IGA en croyant que ce sont des entreprises qui nous sont favorables et qui encouragent les producteurs d’ici, alors qu’elles s’en foutent… le but c’est de montrer que nous pouvons faire un repas avec des ingrédients qui viennent de l’île de Montréal ou de la région proche. »
Aux yeux d’Antonin Mousseau, le problème est complexe: en accaparant les chaînes de production et de distribution, les grands détaillants en alimentation empêchent les petits cultivateurs de livrer leurs produits correctement et d’être concurrentiels dans les épiceries, épiceries qui sont bien souvent intégrées dans la structure des grands noms de l’alimentaire.
Et lorsque les petits producteurs finissent enfin par se tailler une place, leurs produits, forcément en moins grand nombre sur les tablettes, coûtent plus cher.
Pourtant, plaide le chef Mousseau, ces produits sont habituellement bien plus goûteux et savoureux que ceux que l’on trouve dans les Metro, IGA et aux Maxi de ce monde. Qu’on pense seulement à tous ces légumes cultivés dans des plates-bandes, dans des cours, sur tous ces balcons montréalais…
Si l’expression « retour à la terre » vient en tête lorsque l’on écoute Antonin Mousseau parler de sa passion pour la production locale, il n’est certainement pas question de quitter la ville pour partir à la campagne, histoire d’y vivre simplement comme à l’époque de la colonisation. Ce retour à la terre nouveau genre, c’est plutôt l’idée de cesser de repousser toujours plus loin la production de ce que nous consommons tous les jours. De mettre – parfois littéralement – la main à la pâte, et ainsi mieux manger, pour moins cher.
Jeudi soir, lors de son activité gastronomique, Antonin Mousseau n’espère pas une révolution. Il souhaite plutôt lancer une réflexion collective sur notre rapport à la nourriture. Après tout, le Montréal alimentaire, ce n’est certainement pas seulement de la viande fumée, ou encore des queues de castor. C’est aussi (et surtout!) une façon d’améliorer le monde. Une bouchée à la fois.