Il y a quelques jours, le ministre de la Santé a annoncé que les Québécoises auront accès à la pilule abortive dès l’automne, et ce sans frais. Le médicament RU-486, plus simplement appelé pilule abortive ou myfegymiso (plus simple, mais pas tant que ça) permettra aux femmes qui le veulent d’interrompre une grossesse non désirée de manière non chirurgicale.
Tous les experts s’entendent pour affirmer que cette méthode efficace et sans danger permettra de donner un choix supplémentaire aux femmes et favorisera l’accessibilité à l’avortement partout aux Québec.
Santé Canada, conservatisme et contraception
Si c’est une excellente nouvelle pour la santé reproductive des Québécoises, la disponibilité tardive de cette méthode dans la province soulève plusieurs questionnements. Cette pilule est déjà accessible dans 60 pays. En Europe bien sûr, mais aussi en Chine et Russie. On peut se demander pourquoi Santé Canada a mis autant de temps à étudier l’admissibilité dudit médicament dans les pharmacies canadiennes. Ce n’est certainement pas faute de données d’études. Les Françaises ont accès à la RU-486 depuis 1988 et 51% des avortements chez les Européennes sont faits à l’aide du myfegymiso. Il s’est avéré inefficace dans seulement 1% des cas recensés, contrairement à 5% pour l’avortement chirurgical. De plus, il figure parmi la liste des médicaments approuvés par l’OMS. Suite à la demande du fabricant en 2012, il a fallu plus de deux ans et demi avant que Santé Canada l’approuve. Le délai d’approbation moyen pour les médicaments est de 18 mois, mais s’allonge à 29 mois lorsqu’on parle de contraceptifs.
Puisque le processus d’approbation et de prohibition de médicaments de Santé Canada n’est pas transparent, on ne peut que spéculer sur cette différence notable due à la nature contraceptive du produit étudié. On est également à même de se demander si l’influence des gouvernements peut faire partie de l’équation. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper ne s’est jamais caché d’être mal à l’aise vis-à-vis cette méthode. Pas étonnant puisque c’est également sous ce gouvernement que l’on a tenté de recadrer la définition d’ « être humain » telle que présentée dans le Code criminel, qui avait comme motif mal caché d’ouvrir le débat sur l’avortement. Le médicament a été approuvé en juillet 2015, quelques semaines avant le déclenchement d’une longue campagne électorale qui annonçait un changement de gouvernement.
Au Québec
Pour sa part, le gouvernement du Québec a statué rapidement et fermement sur la disponibilité rapide et gratuite du médicament pour les Québécoises. Je n’ai pas la naïveté de croire que tous se réjouiraient de cette nouvelle. Par contre, je dois avouer que je reste toujours surprise quand j’entends « certaines vont prendre ça comme on prend M&M’s». C’est une citation réelle d’une personnalité publique qui ne mérite pas d’être nommée. Néanmoins, c’est toujours ce genre de phrases insipides qu’on entend lorsqu’on parle d’avortement. Défendre l’argument qu’obtenir un service sans obstacle majeur résulte nécessairement d’une décision irréfléchie est simplement ridicule. L’accessibilité à un avortement sécuritaire et efficace et le sérieux de la réflexion derrière l’interruption de grossesse n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le fait qu’une femme n’aura pas à subir une intervention chirurgicale pour mettre fin à sa grossesse ne rend pas le processus léger et irréfléchi. La décision doit être prise avec autant de sérieux que pour un avortement chirurgical et le processus comprend un encadrement médical.
«Ouin pis?»
Dès qu’il est question d’avortement, on nous sort immanquablement l’histoire de « certaines filles, que personne ne connait, qui se servent de l’avortement comme d’un contraceptif ». En plus de remettre en question l’existence desdites filles dont on ne trouve trace dans aucun document sérieux, je me dis « ouin pis? ». Si quelqu’un est capable de mettre fin à des grossesses de manière chronique et que ça la laisse de glace, souhaitons-nous vraiment qu’elle soit obligée de mener à terme sa grossesse? Comme si cet enfant qui lui sera imposé et dont elle ne veut pas lui servirait de leçon. Tant pis pour les préjudices portés à l’enfant qui naîtra de cette grossesse. On lui aura appris une bonne leçon, à «cette fille».