L’éradication de l’hépatite C est un enjeu mondial : 180 millions de personnes, de tous horizons, vivent avec cet ennemi invisible. Lorsque les dommages se font sentir 20 à 30 ans après l’introduction du virus, il est parfois trop tard. L’hépatite C s’est transmise de façon effrénée au Canada à la fin des années 1980 et les conséquences commencent aujourd’hui à apparaître. De nouveaux médicaments donnent toutefois de l’espoir à des hommes et des femmes comme Johanne Bussière, assaillie par le virus depuis 33 ans.
En 2011, l’ingénieure chimique de Montréal se sent anormalement fatiguée. Elle met d’abord la faute sur l’arrivée de la cinquantaine, mais ses analyses sanguines inquiètent son médecin. « Il était découragé, il ne savait plus quel test me faire passer », raconte-t-elle. Le virus de l’hépatite C est finalement détecté dans son sang. Son foie est aussi en mauvais état. Comment a-t-elle pu contracter cette maladie qui touche généralement les personnes s’injectant de la drogue ? Réponse : le sang qui lui a été transfusé 30 ans plus tôt lors d’une opération d’urgence était contaminé. Un cadeau empoisonné qui met sa vie en danger, comme celle de beaucoup d’autres. Madame Bussière fait partie des 250 000 Canadiens atteints d’hépatite C chronique ; parmi les plus célèbres, l’actrice Pamela Anderson.
La transmission du virus ralentit au pays, mais le nombre de cas de cirrhoses avancées, de cancers du foie et de décès causés par l’hépatite C pourrait quant à lui doubler ou même tripler d’ici 2035. Une grande proportion des gens infectés ignorent d’ailleurs qu’ils le sont. À moins qu’on arrive à traiter maintenant les personnes infectées, la facture des soins liés à cette infection pourrait grimper jusqu’à 260 millions $ annuellement.
« Le virus de l’hépatite C, c’est un énorme problème », affirme Marie-Louise Vachon, microbiologiste et infectiologue au CHU de Québec. Cette infection est trois fois plus fréquente au Canada que celle du VIH et a entraîné plus de décès que le sida. « C’est la cause numéro un de transplantations hépatiques au pays », ajoute-t-elle.
Le virus prend les cellules du foie en otage, les forçant à reproduire ses composantes. Il se multiplie ainsi très rapidement. Le système immunitaire réplique en détruisant les cellules assiégées. Cette guerre entraîne la formation de cicatrices dans le foie, appelées « fibroses ». Après 20 à 30 ans, l’organe peut commencer à défaillir. La greffe devient donc une question de vie ou de mort.
Afin d’atténuer les conséquences, il faut tenter d’extirper le virus du corps humain. Depuis les années 1990, les seules armes disponibles étaient les interférons, des protéines aux propriétés antivirales. Injectés chaque semaine pendant un an, ils empêchent ainsi les cellules du foie de laisser entrer le virus. Toutefois, le taux de succès de ce traitement est mince et s’accompagne d’effets secondaires majeurs. Marie-Claude Roy, infirmière clinicienne à l’Actuel, un établissement de santé de Montréal spécialisé dans le suivi des patients atteints d’infections transmises sexuellement et par le sang, témoigne : « il y avait tellement d’effets secondaires à ce traitement : des complications d’anémie, diminution des plaquettes, baisse des globules blancs, ça rendait les patients dépressifs… Il y avait des problèmes de peau. Il fallait les mettre en arrêt de travail. »
Un combat exigeant
À la fin de 2011, on propose à Mme Bussière un traitement de 48 semaines : le Victrelis, tout juste approuvé par Santé Canada. Celui-ci est révolutionnaire puisqu’il agit sans détour sur le virus et l’empêche de se reproduire. Il fait partie d’une nouvelle classe de médicaments : les antiviraux à actions directes (AADs). Il augmente considérablement les chances de guérison (70 à 75 %), mais il doit être combiné aux interférons, de sorte que les effets secondaires demeurent.
Mme Bussière tente le coup : « Ça va être pénible, mais je serai guérie, à la fin ». Le virus semble disparaître de son sang, mais son état de santé se détériore : « tous les effets [secondaires], je les ai eus ». Elle souffre entre autres d’anémie, d’insomnie et d’agressivité. Elle doit cesser de travailler. À la 47e semaine, elle est hospitalisée. Elle finit par apprendre que le virus est toujours là. « Je suis tombée de haut. Dans ma tête, je mourais dans cinq ans ».
Une fois le choc encaissé, elle accepte de tenter sa chance une autre fois. Elle attribue sa résilience au soutien de son conjoint et de ses deux enfants, ainsi qu’au dévouement des médecins et des infirmières de la clinique l’Actuel. On lui alloue un nouvel AAD, le Sovaldi, qui empêche la duplication des gènes du virus. Il guérit 90 % des patients en quatre fois moins de temps que le Victrelis. Les effets secondaires sont les mêmes, mais elle répond mieux à ce traitement. Le virus est indétectable trois mois après la fin. Mais il finit par refaire surface quelques semaines plus tard.
Il existe plusieurs variantes génétiques du virus de l’hépatite C et celle qui accable Mme Bussière fait partie des plus récalcitrantes : les récidives ne sont pas exceptionnelles. Les médecins tentent de choisir le plus judicieusement possible les combinaisons médicamenteuses et la durée du traitement afin de déjouer le virus, mais ce n’est pas toujours suffisant.
Un nouvel espoir
À la fin de 2014, de nouveaux AADs (Harvoni et Holkira-Pak) sont approuvés par Santé Canada. Grâce à eux, les interférons ne sont plus nécessaires et l’on peut espérer un taux de guérison d’environ 97 %. De plus, les effets secondaires sont négligeables. « Ça fait toute la différence dans le parcours de nos patients », souligne Mme Vachon. À la clinique l’Actuel, les anciens traitements exigeaient un suivi très serré de la part de Mme Roy, incluant des rencontres hebdomadaires avec les patients pour les injections. Maintenant, elle les voit plutôt toutes les deux semaines et ils ne sont pas souffrants. « Ça a changé pour le mieux, pour moi et pour les patients », ajoute-t-elle. Elle peut aussi traiter plus de personnes que par le passé. Déjà plus de 200 patients ont reçu un traitement sans interférons à la clinique.
Madame Bussière a pris ses derniers comprimés d’Harvoni en juin. À ce moment, le virus était indétectable et l’état de son foie s’était amélioré. Pour elle, ce récent espoir de guérison n’a rien à voir avec les précédents : « le premier traitement était épouvantable, le deuxième était tolérable. Le Harvoni, c’est comme si je n’avais rien. »
Le 11 janvier, 1000 spécialistes de 75 pays se sont retrouvés à Paris pour le 9e congrès sur l’hépatite. L’organisateur, Patrick Marcellin, chercheur en hépatologie à l’Université de Paris, prononce ces mots lors de la conférence d’ouverture : « nous avons l’arme pour détruire le virus chez presque tous les patients. C’est une réussite exceptionnelle ».
De fait, les nouveaux AADs répondent à tous les critères des chercheurs : une efficacité à contrer les différents génotypes avoisinant les 100 %, des traitements oraux de courte durée, l’absence de résistance du virus aux médicaments et des effets secondaires minimes.
Reste que même si la situation de l’hépatite C varie d’un pays à l’autre, le principal obstacle à son éradication est le même partout : l’accessibilité au traitement. Selon une étude publiée dans le journal médical The Lancet en novembre dernier, le prix du flacon de Harvoni passait de 400 US $ en Égypte à 24 890 US $ en Allemagne. Le même phénomène est observable pour les autres AADs. Au Québec, un traitement de 12 semaines sans interférons coûte environ 60 000 $.
Au Royaume-Uni, les traitements sont remboursés grâce à des programmes gouvernementaux, peu importe le stade de la maladie. Mais c’est une rareté : dans la majorité des autres pays, on doit prioriser et traiter uniquement les plus malades. Même ainsi, environ un patient américain sur cinq au stade le plus avancé n’a pas accès au traitement en raison des coûts. « On veut que tout le monde ait accès au traitement, dit Marie-Claude Roy, mais vu le prix exorbitant […], c’est plus difficile ». Au Québec, la Régie de l’assurance maladie (RAMQ) paie les frais sous certaines conditions, tout comme certains régimes privés d’assurance. Il est impossible de déterminer le nombre de patients admissibles aux traitements ou qui ont obtenu un remboursement de leurs compagnies d’assurance. On sait cependant qu’à la mi-février, la RAMQ avait permis à 1029 patients d’avoir accès aux Harvoni et Holkira-Pak depuis leur approbation.
Partout dans le monde, des questions demeurent quant aux façons d’améliorer l’accessibilité des traitements aux personnes vivant dans la rue ou s’injectant régulièrement des drogues. Pendant le congrès de Paris, le médecin américain Michael Fried a rappelé l’importance d’améliorer les processus de dépistage de l’hépatite C. Il a terminé sa présentation sur une note d’espoir : une caricature signée Mike Luckovich. L’hépatite C y est représentée sous la forme d’un dragon mal en point, faisant face à une poignée de scientifiques qui s’exclament : « 25 ans ont été nécessaires pour le mettre à genoux. Maintenant, il faut l’achever ! »
Au lendemain de cette conférence, Mme Bussière a reçu la nouvelle qu’elle attendait tant. Même six mois après la fin de son traitement, le virus demeurait indétectable dans son sang. Son monstre récalcitrant semble avoir été achevé.